Cet article fait partie de la “Sonic Youth Week“
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Sonic Youth. Il faut bien faire des choix et chroniquer la discographie de Sonic Youth en cinq jours relève plus de la torture mentale qu’autre chose. Pour ce deuxième article et par souci de progression chronologique, j’ai donc choisi de m’attaquer à Daydream Nation, assurément l’album le plus connu du groupe. Ne m’en voulez pas, cette semaine spéciale Sonic Youth eut été trop incomplète sans quelques lignes sur ce dernier.
Bien que n’étant pas le premier album de la discographie du groupe, Daydream Nation est souvent celui qui est conseillé pour débuter avec Sonic Youth. Et pour cause, il contient le plus grand hit de toute sa discographie, ça aide. Pourtant, le titre est trompeur. Alors que le premier album du groupe était noir et laisser plainer une situation sans espoir, Daydream Nation peut laisser penser que Sonic Youth va se tourner vers la pop d’un renouveau. Il n’en est rien. Cet LP est tout aussi torturé que les autres, tout aussi génial que les autres. L’article du jour est ainsi sous-titré “d’exploit” parce que parvenir à ce qu’un album si expérimental devienne un véritable symbole de la pop culture, c’est un exploit.
Je voudrai, avant de nous plonger plus en avant sur ce que contient Daydream Nation, faire un rapide aperçu de ce que le groupe a sorti depuis Sonic Youth, son premier album (1982) que je chroniquais hier. Confusion Is Sex est le deuxième LP du groupe, paru en 1983. Ne manquez pas l’écoute de “Making The nature Scene“. S’en est suivi Bad Moon Rising (1985) qui contient les très bons “Brave Men Run” et “Flower“.
Et puis, c’est autour de l’album EVOL d’avoir agité la scène rock. Cet LP là aura largement mérité un article dédié tant il est extraordinaire à plusieurs égards. Les 10 morceaux qui s’y trouvent forment un sans fautes, mais jetez-vous sur “Shadow Of A Doubt“, un immense classique. Le dernier album qui s’est glissé entre le tout premier et Daydream Nation est Sister sur lequel “Tuff Gnarl” résonnera toujours. Bien entendu, tous ces albums méritent une écoute complète tant Sonic Youth a toujours eu à cœur de nous plonger dans une ambiance, du début jusqu’à la fin (si elle existe).
C’est toutefois Daydream Nation qui va tout changer. Jamais un album de rock noisy n’avait été si (re)connu. Je rappelle, tout de même, que ce style musical était relégué au rang de “rien de tout” avant que Sonic Youth n’arrive. Le New York Times décrira même (lien) ce dernier comme un truc de downtown New York, comprenez, une musique de quartier et destinée à la rester, voyez plutôt : “The ”noise music” movement, a product of the downtown art community, will be represented by the Sonic Youth Band“. Ce même journal commencera à voir le truc venir en 1983 (lien) mais le placera malheureusement derrière REM en 1985 (lien). Ouais, ce n’était pas encore ça.Daydream Nation paraît sur le label Blast First (une filiale de Rough Trade, à l’époque) en coproduction avec Enigma Records (une filiale EMI). Il s’agit ainsi du premier album pre-“Major” du groupe, un statut que certains ont du mal à assumer, pas eux. La force de Sonic Youth est de ne compromettre le son de cet album pour rien au monde. Peut-être doit-on également cela au fait que l’on ne trouve aucun grand nom au mastering ou à la production.
Daydream Nation ne tarde pas à mettre une première claque en pleine tête de son auditeur. “Teen Age Riot” est bien évidemment le plus grand hymne du groupe, aussi l’un des plus grands jamais chroniqués sur Still in Rock. Que rajouter sinon que conduire une vie de mélomane sans l’avoir écouté est une vie gâchée ?! Sonic Youth attaque d’entrée sur son thème fétiche, le désir, la passion. Il semble y avoir de l’espoir. On enchaîne avec “Silver Rocket“, un titre bien plus punk d’une violence inouïe dans la discographie du groupe. Cette fois-ci, c’est Thurston Moore qui prend le lead pour 4 minutes à la fois métalliques et enflammées. Qu’il porte bien son nom !
“The Sprawl” prend alors le relais, un titre plus féminin qui avance à pas de loup. Le son de Sonic Youth n’a jamais été aussi étoffé. Il y a comme un bourdonnement qui contraste largement avec le premier album que je critiquais hier. La balance entre les trois premiers morceaux est déjà parfaite. Thurston Moore l’a signalé dans plusieurs interviews, l’album sera inclus en 2006 dans le registre national des enregistrements de la Bibliothèque du Congrès américaine, la banque sonore du patrimoine américain. Seuls ces trois titres introductifs auraient suffi, mais il y a plus.
Bienvenue dans l’univers de “‘Cross The Breeze“, un titre de 7 minutes à décoller les oreilles “chirurgiées”. L’étiquette noisy de cet album prend ton son sens, l’introduction est un véritable marathon, de quoi essouffler la scène entière. Kim Gordon n’en finit pas d’asséner son “I Wanna Know“. On l’entendra rarement aussi nerveuse sur toute la discographie du groupe. Ce morceau est une véritable invitation à quitter la pénombre, “No need to be scared; Let’s jump into the day“, et pourtant, la musique du groupe est d’une noirceur que l’on rencontre peu. Faites particulièrement attention aux deux dernières minutes où le groupe brille surtout par la qualité du son de sa guitare.
“Eric’s Trip“, un autre classique, est une démonstration de ce que le rock est une affaire d’individualisme. Thurston est auto-centré, évoquant la beauté de sa copine, ses magazines de vinyles préférés ouverts le soir, le besoin d’être entendu. Une fois encore, la structure de ce morceau ne ressemble à aucun autre qui me vienne en tête, comme pour se déconnecter des codes de la scène, encore et toujours. “Total Trash” vient clore la face A sur une partition plus expérimentale. La deuxième moitié y est particulièrement intéressante.
La face B s’ouvre sur “Hey Joni“, ou plutôt devrais-je dire, le doux “Hey Joni” ? Pas vraiment, ce titre passe en force sur ses qualités sonores plus que mélodiques. “Providence” a plus de mérites. Le spleen dégagé par ce titre-là est saisissant. La bougie de la pochette n’a jamais fait tant de bruit. Voilà encore le résultat de ce que produit un groupe qui essaie. “Candle“, une fois allumée, a pour elle ses nombreuses altérations. Ce que Sonic Youth fait particulièrement bien sur cet LP, c’est de couper tout son instru’ pour laisser la guitare respirer. On sort ainsi de l’aspect bouilli de nombreux albums noisy pour créer quelque chose de bien plus distingué.
“Rain King” veut aller plus loin. Quelle joie ! On aime notre café sans sucre et notre Sonic Youth sans pop. Cet album n’est jamais ni trop brut ni trop brutal. Aucun album de Sonic Youth ne l’est jamais, on se délecte même de sa reprise de “Moist Vagina” (un titre de Nirvana). Le son de “Kissability” est immédiatement pénétrant. La voix de Kim Gordon revient up front sur le titre le plus sexuel de tout l’album. Une jouissance. Et voilà déjà le dernier titre en la présence d’une trilogie, “a) The Wonder” “Trilogy: b) Hyperstation” “Trilogy: z) Eliminator Jr.“. Les 14 minutes assemblées de la sorte viennent mettre un point final absolument parfait d’un album épique de A à Z. Ne manquez surtout pas la dernière des trois, “Eliminator“. Sonic Youth y va logiquement très loin, l’écoute rêvée pour une balade de nuit. Le “Sister Ray” des Velvet a là son meilleur répondant de l’histoire.
On se rend compte à quel point la claque expérimentale est la plus grandiose de toutes. Vous le savez peut-être, je me suis de nombreuses fois plaint du manque d’expérimentalisme, un mot inventé qui me semble traduire l’un des problèmes de la scène actuelle : ils sont trop peu à essayer.
Pourquoi ne pas laisser place à de l’impro pendant les enregistrements studio ? Pourquoi ne pas encapsuler l’aspect sauvage et inattendu d’un live ? Ou pourquoi ne pas feinter de le faire ? Cet album traduit – et traduira toujours – ce spirit là, celui d’un groupe capable de s’affranchir de tout. L’écoute de Daydream Nation est en cela inappropriable, un de ces LPs que l’on se passe en boucle avec, à chaque fois, l’impression de découvrir à nouveau recoin, toujours plus sombre. L’écoute de Daydream Nation est dangereuse parce qu’en dehors des clous. C’est ce que l’on demande aux meilleurs albums de rock’n’roll, du danger. Et si les artistes studio ne prennent pas de risques, je ne vois pas bien comment leur musique en serait remplie. Daydream Nation est un classique, tout le monde le sait bien, mais peut être qu’il n’est pas écouté avec assez d’insistance…
(mp3) Sonic Youth – Candle
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