“Logos” confirme la quiétude ambiante. King Krule y mêle de plus en plus de jazz, la bascule entre l’impétuosité des premiers morceaux et l’introversion finalement très urbaine de ces quelques titres – on croirait se promener dans une grande ville, la nuit, seul – est un véritable coup de maître. “Sublunary” renforce encore cette sensation. Trop d’albums veulent s’approcher de nous et se trompent finalement parce qu’ils sont vaguement douceâtres. King Krule laisse une distance entre lui et son auditeur, comme s’il venait se confier, mais toujours avec cette retenue, la douleur entre nous. L’écoute de cet album est très particulière pour cette raison, comme s’il fallait ne pas trop s’en réjouir, seulement s’en émouvoir, parce que notre confident est mal portant.
Et ce qui devait arriver arriva sur “Lonely Blue“, l’une des masterpieces de cet album, du faux détachement jusqu’à la déflagration. Le son sature par moment, preuve de l’attention qui a été portée à l’ensemble. On le sait, King Krule s’est rapproché de diverses formes artistiques au fil des ans et c’est ce que l’on retrouve finalement ici. Quant à “Cadet Limbo“, il tente un nouveau départ en spleen sur des bases logiquement plus mélancoliques, ce que le clavier vient nous dire à mi-parcours. Le son très vétuste de ce dernier contraste avec la modernité du reste de l’instru’.
On arrive à mi-parcours avec “Emergency Blimp“. King Krule y est cathartique. La production donne sens à un morceau plus fidèle au premier album qu’à celui-ci, bien qu’il faille noter à quel point l’écoute de The OOZ est plus équilibrée. Et les pistes sont brouillées avec “Czech On”. La première moitié de cet LP semblait suivre une suite logique, ce que la seconde ne fait jamais. “Czech On” est un morceau de velours parmi ses créations parfois fiévreuses. “(A Slide In) New Drugs“, entre le nouveau Naomi Punk et les anciens Deerhunter, renoue avec le minimalisme de Zoo Kid.
Un nouveau tournant apparaît avec le trio “Visual” – “Bermondsey Bosom (Right)” – “Half Man Half Shark“. King Krule laisse libre cours à ses envies expérimentales, il semble, en réalité, avoir perdu contrôle, pour la première fois, comme si la dureté de sa voix était tenue par une instru’ plus difficile encore. “The Cadet Leaps” réinjecte donc un peu de légèreté dans ce corpus qui rassemble un peu des 4 éléments.
“The Ooz” fera office de perle rare. Comme dans le “Crepuscule With Nellie” de Monk qui semble être prêt à transformer son morceau en sonate de guerre à l’occasion de chaque nouvelle boucle, King Krule fait de “The Ooz” un exemple de retenue qui ne dégage pas moins une indéniable puissance. Il philosophe à son tour, sur l’univers et l’immensité, appelant celui qui l’écoute à se joindre à lui. Le goodbye est déchirant et les dernières envolées rappellent certains Pharoah. “Midnight 01(Deep Sea Diver)” nous met dehors avec une pluie battante, autre preuve de son désir patent de gnosie, “perception sensorielle d’un objet“. “La Lune” est la fin attendue, loungy.
Au final, The OOZ est une réussite souvent bouleversante. Son statement ? Transcender la musique de chambre en se séparant de tous ses codes, de ses structures musicales, de son entrain amical, affable et souvent fraternel, faire de sa musique l’honnête récit d’une torture qui n’est jamais surjouée, nous envelopper sans nous complaire, nous magnétiser sans nous exaucer, mettre le jazz au service de sa propre définition de la brutalité, ne pas tricher.
(mp3) King Krule – Lonely Blue
(mp3) King Krule – Czech One
Tracklist : The OOZ (LP, True Panther Sounds, 2017)
1. Biscuit Town
2. The Locomotive
3. Dum Surfer
4. Slush Puppy
5. Bermondsey Bosom (Left)
6. Logos
7. Sublunary
8. Lonely Blue
9. Cadet Limbo
10. Emergency Blimp
11. Czech One
12. (A Slide In) New Drugs
13. Visual
14. Bermondsey Bosom (Right)
15. Half Man Half Shark
16. The Cadet Leaps
17. The Ooz
18. Midnight 01(Deep Sea Diver)
19. La Lune
Liens :
Article sur son album 6 Feet Beneath the Moon
Article sur son excellent morceau “Easy Easy“
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