Brian Lopez, c’est un artiste originaire de Tuscon (comme ce mec-là) qui va entend bienréveiller quelques spectres. Je n’ai plus l’habitude d’écrire sur des groupes de folk, je leur reproche souvent un côté mielleux qui me pousse à l’indigestion. Mais Brian Lopez me procure la sensation inverse : avec lui, je veux repartir dans la cabane dans laquelle je n’ai jamais habité, je veux faire du bateau sur un lac canadien où je ne suis jamais allé, je veux danser en slow motion et valser avec un fantôme.
Ce n’était pourtant pas joué d’avance. La démarche qui se cache derrière cet album semble hésitante, entre volonté d’innover et processus un peu surfait pour faire artiste. “Pour toujours aller de l’avant, j’ai enregistré ces chansons entre 18h et 4h du matin, avec le son du ventilateur au plafond et des klaxons des nombreux trains de marchandises qui passent à travers l’obscurité de la nuit”. Et je passe sur l’enregistrement lui-même (ici). Seulement, l’écoute de Prelude – son troisième album qui verra le jour le 23 mars prochain via Dust & Stone – mettra d’accord tous ceux qui se sont un jour émerveillés à l’écoute d’Alex Calder, de Cut Worms et d’autres formations made in Captured Tracks. Prelude fait ce que l’on peut attendre des meilleurs albums de folk : il cherche la pureté d’un style qui se perd souvent dans les combinaisons d’arpèges certes ingénieuses, mais qui sont trop démonstratives. Prelude ne démontre rien, il nous prête quelques instants de désinvolture.
Ce qui attire dans la musique de Brian, c’est son aspect spectral qui s’accentue aux fils des morceaux. Cela lui permet d’éviter l’écueil de l’album de folk complaignant, avez-vous remarqué que les esprits sont rarement plaintifs ? “Meta, Fall In Line” est une première démonstration de ces envies de légèretés. Et “Your Nomenclature” d’être plus intéressant encore. Ce titre est rugueux et âpre, rempli de vieux souvenirs et de regrets. Ce premier single est à l’image de Tucson : il est un brin poussiéreux, on voit les plantes grasses qui jonchet la fenêtre avec les stores vénitiens à demi-baissés.
“Will You Be Down” est déjà un rappel des premiers instants de cet album, il est agile et nébuleux. “Synapsis Will Pay“, chanté en espagnol, élève Prelude à un niveau inachevé. Toujours fantomatique – peut-être plus que les précédents – il joue d’une confusion parfaitement assumée, entre obscurantisme et parc ensoleillé. On ne pourra s’empêcher de penser à Devendra Banhart. Vient alors “Los Angeles” qui a tout du parfait single, il est d’ailleurs étonnant qu’il n’ait pas été choisi comme tel. On se voit dans la bande-son d’un film d’auteur, il est amer sans être larmoyant.
“Tale Of Us” pèche de ne pas apporter une nouvelle pierre à l’édifice de cet album, il participe seulement de renforcer son identité ce qui le rend fort sympathique, mais, je crois, ne concentrera pas nos écoutes. “Fade Out“, à l’inverse, est d’une rare bienséance. On se souvient alors vaguement que l’on consacre nos journées à écouter du garage, tout ça semble loin à l’écoute de cet esthétisme.
Si je me suis permis d’insérer la bande-annonce du film A Ghost Story (ci-dessus) en plein milieu de cet article, c’est que je crois une double critique tout à fait pertinente. Les deux – Prelude et ce film – joue la carte de la simplicité, il nous montre tous leurs tricks, ils ont old fashion et pourtant inédits. Ils sont Poétiques, ah le grand mot ! “Like A Kid” nous fait traverser le lac à bord d’une barque chancelante, “Sonoran Strange” assume le côté weirdo sur lequel Brian Lopez joue depuis l’introduction. Hello Cut Worms. Et “Meaningless And Blithery“, enfin, de nous dire que tout ira bien, dans l’au-delà.
Au final, la production d’un rare minimalisme sublime en tout point la musique de Brian Lopez. Ce changement de direction est le bien venu, d’autant plus lorsque l’on sait que les artistes tendent généralement à se dégager du mid-fi au profit d’albums sur-produits qui perdent tout leur charme. Ce que fait Brian Lopez, ici, c’est nous forcer à moins d’agitation. C’est difficile, tant on est habitué à être interrompu dans tout.
L’Arizona est décidément plein de belles surprises. Avec Prelude, Brian Lopez se replie sur lui-même au profit d’une musique plus introspective qui, de fait, touche à ce qui est universel. Le nom de l’album semble indiquer lui-même ces envies de renouveau, comme s’il posait ici les bases d’une nouvelle identité artistique. Nous, romantiques non assumés, on se dit que l’on est drôlement bien en compagnie de ces quelques titres déliés.
Tracklist : Prelude (LP, Dust & Stone, 2018) 1. Meta, Fall In Line 2. Your Nomenclature 3. Will You Be Down 4. Synapsis Will Pay 5. Los Angeles 6. Tale Of Us 7. Fade Out 8. Like A Kid 9. Sonoran Strange 10. Meaningless And Blithery
Post a comment