J’ai plusieurs fois déploré la disparition des chansons d’amour sur Still in Rock. C’était l’un de mes sujets de discussion avec Paul Collins, ancien leader des Beats et Nerves :
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Thibault : En parlant des années 90, les groupes de cette époque étaient très ironiques… Pour eux, tout était sans intérêt, même l’amour. Ils ont tué les chansons d’amour. Je ne trouve pas trace de groupe écrivant de bonnes chansons d’amour à présent, comme les groupes de power pop pouvaient le faire à l’époque.
Paul : C’est marrant, je n’ai jamais entendu quelqu’un en parler de la sorte, mais c’est vrai ! Tu sais, la plupart des gens regardent ce qu’ils font et essaient de déterminer leur place dans le monde. La power pop est très difficile à créer… C’est précisément que j’aime à propos de cette musique. Je ne me considère pas comme un musicien de power pop, je me considère plus comme un musicien rock. Mais si les gens appellent ce que je fais de la power pop, pas de problème. De toute manière, j’aime l’aspect positif de la power pop. On parle des filles, de voyages et de travail. Ça parle de comment obtenir la fille, du fait de la perdre, lorsque la fille te quitte ou que tu la quittes… Ca représente 80% de la musique, le reste, ce sont des artistes politiques comme Bob Dylan par exemple. Et puis, tu as la musique “dangereuse”, comme le rap et le punk. Je n’ai jamais rien produit de dangereux. J’essayais simplement de trouver ma place, ce pourquoi j’ai écrit “I Don’t Fit In”.
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Force est de constater que la décennie 90s, que je tiens pourtant comme étant la meilleure de l’histoire (voir son panorama), est bel et bien devenu le pilier de la musique actuelle. L’ironie l’a emporté sur le reste, et finalement, les hipsters n’en sont qu’une manifestation de plus. Plus personne fait de power pop (ou presque), plus personne dans les milieux underground n’osent délivrer un message personnel sans l’empreindre de figures de style, et finalement, on se retrouve à célébrer la véracité d’un propos musical à travers des films comme Inside Llewyn Davis, parce que dans la vraie vie, cela n’existe plus.
Une étude plus récente encore, datée de février 2020, relève une corrélation tout à fait intéressante entre la disparition des chansons d’amour, d’un côté, et l’explosion du nombre de chansons haineuses, de l’autre :
La dernière théorie, qui emporte ma préférence, est celle d’un changement dans la distribution de la musique. Depuis 2015, la croissance globale de l’industrie musicale a connu des hausses annuelles de de +3.2%, +5%, +10.8 et +9.7% pour la seule année 2018. Des niveaux records sont atteints, ce qui pose la question d’une blank generation 3.0.
La première blank generartion, c’est celle sur laquel Richard Hell écrivait, celles des premiers “artistes à remplir” que les publicitaires ont utilisé pour vendre un produit, un idéal. Et puis, il y a eu la blank generation 2.0, dans les années 1990s, époque MTV, le jour où l’image l’a emporté sur tout le reste, le jour où les clips ont commencé à buté la musique populaire. La blank generation 3.0, c’est désormais celle des “artistes” vides qui, depuis les années 2010s, sont au croché des réseaux sociaux. Parce qu’ils dépendent de leur “following”, ils doivent afficher une identité, un message, or, rien ne fédère mieux ces temps-ci que l’idignation. Il faut s’indigner de tout, tout le temps, en toute circonstance. Ne plus tolérer. Exclure. Les réseaux renforcent les phénomènes de bulles, chacun se croit de plus en plus légitime dans sa pensée, parce que chacun observe l’activité de ses amis, minunte après minute. Résultat : la société se polarise, et les artistes doivent ainsi fédérer en choissisant un camp. Pendant ce temps là, les chansons d’amour sont laissés à l’abandon, elles sont trop universelles pour permettre une identité sociale.
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