Tom Waits, ou la beat generation en musique. La rubrique anachronique regorge déjà de grandes légendes qui ont forgé l’histoire de la musique. Ce billet intègre assurément ceux les plus importants. Le grand Tom Waits est un artiste majeur du 20ème siècle qui continue de produire d’excellents albums (le dernier est Bad as Me, 2011). Il compte à ce jour plus de 15 opus et sa musique continue de démontrer que les frontières entre Jazz, Blues, Soul et Rock ‘n’ Roll sont en réalité très infimes. Après tout, quel jazzman est-il plus rock’n’roll que lui ? Probablement aucun.
Cet article s’attachera à évoquer Nighthawks at the Diner, le premier album live de Tom Waits pourtant enregistré en studio (aux Record Plant Los Angeles) devant une audience réduite. Daté de 1975 et initialement produit par Asylum Records, Nighthawks at the Diner tire son nom du célèbre tableau d’Edward Hopper. Cet opus semble être la meilleure traduction musicale de tout le génie de la Beat Generation, entre poésie et volonté de romancer les déboires de la vie. Cet album est le meilleur pour commencer avec Tom Waits, continuer avec Tom Waits, et finir avec Tom Waits. Cet opus est tout simplement l’un des plus géniaux de la décennie ’70. Il capture l’ambiance d’un club de jazz en y ajoutant le génie blues que Tom Waits a toujours transcendé. Entre le saxophone de Pete Christlieb, le piano de Michael Melvoin auquel il fallait rajouter basse et batterie, Nighthawks at the Diner est un opus romantique qui exprime une partie de son essence dans la richesse de cette orchestration. Et puis, Tom Waits vient éclabousser tout l’album de son incroyable voix.
Dès l’introduction, lumière tamisée et petits hochements de tête s’imposent. Tom Waits va entrer en scène. Il s’adresse sans plus tarder à son audience, ce qu’il fera durant tout l’enregistrement. Le beat de Tom Waits fait immédiatement penser à Kerouac qui récite ses textes. “Emotional Weather Report” poursuit l’introduction très jazzy. Un bon nombre des titres qui suivent sont introduits par quelques minutes où Tom Waits décrit chacun d’entre eux. “On A Foggy Night” commence ainsi : ‘It was upon a foggy night, an abandoned road‘. C’est là que le titre prend place, en face de Nighthawks. “Eggs And Sausage” nous maintien dans cette mystérieuse peinture, ‘There’s a rendezvous of strangers around the coffee urn tonight‘. Dans un style similaire au précédent, ce titre se veut tout aussi intrigant que le tableau qu’il décrit. La voix éraillée de Tom Waits est largement mise en avant. On commence petit à petit à oublier le monde qui nous entoure pour nous plonger en plein dans cette ambiance de laquelle on ne voudra pas sortir.
“Better Off Without A Wife” est encore plus spleenétique que les autres, une petite merveille. Et puis, le Jazz revient à grands pas sur “Nighthawk Postcards (From Easy Street)“, quasi 10 minutes à observer envieusement depuis la rue d’en face, un soir de ‘dracula moon in a black disguise‘. Le saxophone s’exprime en plein pour la première fois, ce que l’on retrouve sur “Warm Beer And Cold Women“. On y entend un Tom Waits transcendé. On atteint ensuite le money time avec deux des meilleurs morceaux de tout l’album. Le premier est “Putnam County“. Titre le plus nostalgique de tous, Tom Waits y met en valeur les mots comme personne, ‘hunkerin’ down in the dirt to lie about their lives; (…) and the coiffed brunette curls over Maybelline eyes‘. C’est de la véritable poésie. Et puis, “Spare Parts I (A Nocturnal Emission)” vient complètement changer l’atmosphère sur quelques notes qui rappelle les meilleurs films d’espions. Le rythme s’emballe peu à peu pour conclure sur une extase jazzy inimitable. Il fallait enfin une chanson d’amour, la voilà donc avec “Nobody“. “Big Joe And Phantom“ nous donne une dernière fois la larme aux yeux avant que “Spare Parts II And Closing” ne vienne conclure l’affaire sur les applaudissements pour le groupe qui accompagnait Tom Waits ce soir-là.
Cet album résume à lui tout seul une grande partie de ce qu’auront été les années ’70 aux USA. Cela explique pourquoi on le retrouve régulièrement cité dans les classements des meilleurs opus de tous les temps, dans le best of de musiciens (Eddie Vedder de Pearl Jam par exemple), dans des compilations, des films… La discographie de Tom Waits compte bien d’autres chefs-d’oeuvre, mais la singularité de Nighthawks at the Diner, de sa volonté de retranscrire une peinture jusqu’à l’ambiance très Blue Note, en fait une pièce indispensable. La frontière entre tant de styles musicaux se trouve complètement effacée au même titre que la frontière entre musique et poésie semble réduite à néant. L’effet Tom.
(mp3) Tom Waits – Putnam Country (1975)
(mp3) Tom Waits – Spare Parts I (A Nocturnal Emission) (1975)
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2 Comments
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Chris F.
En général, je suis d'accord. C'est un album magnifique, et Tom Waits est incontournable, unique, et novatrice. Mais, à mon avis, son meilleur album est Rain Dogs. N'oubliez pas Bone Machine, un autre excellent album. Dans tout cas, merci de votre article.
LaTouf
Que dire… Quel bel article. Tom Waits est juste indispensable. Ce mec est un miracle, l'album mentionné est un bijou. Et Eddy a bon goût!