Album Review : Kurt Vile – b’lieve i’m goin down… (Folk Rock)
Album Review : Kurt Vile
b’lieve i’m goin down…
Roland Barthes avait théorisé l’effet de réel, accumulation d’informations (non vérifiées ou erronées) qui participent à créer la véracité de l’ensemble. La discographie de Kurt Vile, elle, donne naissance à l’effet d’irréel, accumulation d’albums sincères et savants qui contribuent à la création d’une rock-star, antithèse de chaque élément. Cette capacité à fédérer autour d’une expression artistique hétéroclite est peu commune et c’est nécessairement avec émotion que l’on s’y confronte.
Le rêve de Kurt Vile n’a ainsi jamais semblé si proche de se réaliser. Lui qui aspire ouvertement à faire connaitre sa musique du plus grand nombre, prêt à affronter le rockstar système, se hisse dorénavant en tête d’affiche de tous les festivals auxquels il participe, ah…, c’est un signe inexorable de ce qu’il aura bientôt, après la reconnaissance des critiques, également celle du plus grand nombre. Paradoxalement, Kurt Vile parvient à achever cette célébrité en étant vrai et fidèle à lui même. La présence de tels artistes est réconfortante, précisement parce que la Blank Generation théorisée par Lester Bangs, décrivant ces artistes vides que les commerciaux peuvent remplir de ce qui fait vendre, plane toujours sur l’ensemble de la scène.
Son nouvel album (le sixième), b’lieve i’m goin down…, paraîtra le 25 septembre prochain via Matador (le label de Pavement, entre autre). Composé de douze morceaux (pour la version simple), il n’est rien de moins qu’un des albums les plus obligeants de ces derniers mois/années. Kurt Vile a largement gagné en profondeur, que ce soit dans sa voix, son instrumentalisation et, surtout, ses textes. L’écoute de b’lieve i’m goin down… oblige ainsi à vivre l’expérience en entier.
Wakin On A Pretty Daze avait un aspect plus immédiat qui était guidé par d’excellents morceaux comme “KV Crimes“. b’lieve i’m goin down… est moins perméable, mais assurément plus riche. Sur le thème de l’introspection, Kurt Vile aborde une nouvelle phase de sa musique, similaire d’ailleurs à celle de Mac DeMarco et son Another One. La confidence semble être la tendance parmi les grands songwriters, et ça tombe bien.
Dans ses Mémoires d’Hadrien, Marguerite Yourcenar expose le concept de la temporalité des arts. Chaque époque est enfermée dans un ensemble qui pousse la majorité des artistes à traduire les inquiétudes de l’époque. Ainsi trouve-t-on des cycles où la force s’impose comme élément central (art de la Grèce antique), d’autres où famille occupe tout l’espace (Néo-classicisme) et certaines où l’amour semble monopoliser les sujets (romantisme). Force est de constater que s’il est trop tôt pour dire si le 21ème sera l’avènement d’une nouvelle époque créative (il y a toutes les raisons de le penser, notamment à cause la digitalisation de l’art), on peut largement constater que parler d’amour avec sincérité est devenu un exercice peu commun. Après le cynisme des nineties, le trop-plein dégoulinant des années 2000, peu d’artistes s’attaquent désormais à exprimer leurs ressentis comme le faisaient ceux de l’ère Power Pop. Kurt Vile se place au-dessus de la mêlée avec un album qui entre en plein dans la problématique. Cela fait bien entendu de b’lieve i’m goin down… un LP fascinant et plus exceptionnel que bon nombre d’autres.
L’album s’ouvre sur “Pretty Pimpin” qui demeure l’excellent single que nous chroniquions en juillet dernier. Impossible de ne pas y voir le meilleur titre de l’été 2015. Il n’est pas nouveau que les titres de Kurt Vile sont parmi ceux qui ont la plus belle durée de vie. Cela fait plaisir de constater que le fait est confirmé avec même ses singles. Kurt Vile a d’ailleurs l’habitude d’introduire chacun de ses albums par ces derniers, et “Pretty Pimpin” ne déroge pas à la règle. Seulement, b’lieve i’m goin down… est moins porté sur l’aspect single que son précédent essai. Vient ensuite “I’m an Outlaw“, un titre que Kurt Vile devait avoir en lui depuis longtemps. Son père était un grand amateur de bluegrass, il était donc logique qu’il aborde cette musique dans cet ensemble très personnel. Et puis, on poursuit le parcours initiatique avec “Dust Bunnies“, l’un des titres les moins engageants de l’album. Plus pop, il rappelle le Kurt Vile de 2013, plus en surface. Ne nous y trompons pas, ce Kurt Vile là était déjà brillant, parce qu’il permettait de nous ouvrir au monde extérieur, de nous émouvoir de plus. L’exercice est simplement différent avec b’lieve i’m goin down… (et supérieur).
“That’s Life, tho (almost hate to say)” est la chanson d’un fataliste. Je ne pouvais donc y résister. Alors qu’il illustre parfaitement la profondeur de sa voix, on note également que la beauté de l’arpège est parfaitement accompagnée d’une atmosphère pesante qui sublime elle-même la tristesse du texte. Le tout forme l’un des temps forts de b’lieve i’m goin down…, Kurt Vile a son plus haut. “Wheelhouse” est plus difficile à pleinement apprécier. Kurt Vile nous y fait l’apologie de la solitude alors qu’un cuivre (ses premiers amours) vient contraster avec la batterie assez jazzy dans son ensemble. De plus, la guitare y est photogène, preuve de la complexité de ces six minutes.
“Life Like This” est le premier morceau a faire apparaître le piano. Jamais Kurt Vile ne lui avait donné une telle place. Il reprend le beat de “Pretty Pimpin” pour le coller sur une musique plus romanesque. On redécouvre le thème de la “vie” dans la continuité de “That’s Life, tho (almost hate to say)“. Le titre compile la simplicité du riff avec celle des paroles, “did you get what it takes?“, pour nous toucher très directement. Une fois encore, le travail studio est remarquable.
“All in a Daze Work” contentera les amoureux de sons à la pureté cristalline. Il y a en cela un retour à son album 10 Songs de 2003. Certes, Kurt Vile enfonce le clou, le titre nous plonge entre grisaille et amertume. Pourtant, il fait naitre en nous l’expectative d’un moment plus lumineux qui arrive sur “Lost my Head there“. Ce titre-là, l’un de mes immenses coups de coeur, est sans conteste le morceau le plus groovy de tout l’album. Le piano et la basse forment un formidable duo. Une fois encore, on notera à quel point la voix de Kurt Vile est parfaitement placée, aussi le fruit d’un long travail studio. Mais surtout, c’est la seconde phase du morceau qui en fait un hit, sinon le hit de b’lieve i’m goin down… Kurt Vile a toujours frôlé la frontière des territoires psychédéliques (notons que Childish Prodigy, paru en 2009, était plus dans cette veine), sans jamais oser franchir le pas. C’est chose faite avec “Lost my Head there“. Le long jam qu’il délivre restera.
Quant à “Stand Inside“, il est, à mon sens, le titre ataraxique (excusez le gros mot) le plus réussi de l’album. C’est également le plus beau titre d’amour jamais composé par Kurt Vile. Si l’enfer c’est les autres, Kurt Vile ordonne to “close that cute mouse and kiss me“. Et on en revient toujours à ce “oh my god, I love you“, pièce centrale de “Stand Inside“. L’enregistrement est encore plus intimiste que sur les autres morceaux. Kurt Vile reprend les arpèges de folk pour rajouter au romantisme ambiant.
“Bad Omens” débute sur des airs de valse à trois temps. Le titre est court (2min52) et instrumental. Il perpétue le final quasi psychédélique de “Lost My Head there” et nous guide sur l’acoustique “Kidding Around” (curieux choix de maquette, peut être le seul défaut de cet album, à moins que ce soit une bonne d’idée que d’éviter de trop cloisonner les titres entre acoustique et rock’n’roll). Ce titre est l’occasion pour Kurt Vile de questionner les dix morceaux qui le précèdent, jouant ainsi avec le sens de son album et la nécessité de ne produire que des titres qui soient “jolis”. J’y vois en réalité un artiste espiègle, mais certainement pas la contradiction de l’heure qui vient de s’écouler, ce serait trop facile. “Wild Imagination“, le dernier, est un titre plus enjoué. Kurt Vile revient à ses premières intentions, celle du “In my Time” sur Smoke Ring for My Halo, par exemple, où il y décrivait son impatience du futur. Kurt Vile s’adresse, une dernière fois, à celle qui constitue indirectement le sujet central de b’lieve i’m goin down… Je nous laisse le plaisir d’un prochain article pour les 5 titres bonus (rassemblés sous le label believe I’m goin (deep) down…).
Dans l’ensemble, c’une sensation de calme et de sérénité qui se dégage de b’lieve i’m goin down… Cet opus, comme les derniers de Kurt Vile, est très mélodique. Pourtant, l’instrumentalisation ne verse jamais dans la complexité que d’autres artistes se sentent obliger d’aborder pour exister dans le paysage sonore. Surement est-ce la magie de la folk. Kurt Vile et Robin Pecknold savent comment transcender ce genre, dans la lignée des Newman & co.
Il ne fait aucun doute que cet album sera parmi les prétendants au titre de meilleur LP de l’année 2015. Moins rock’n’roll que Wakin On A Pretty Daze, parce que moins démonstratif, il présente un travail studio de meilleure qualité (faites l’exercice et écoutez coup-sur-coup un titre de Wakin et un autre de b’lieve i’m goin down…, la différence est flagrante). Plus poétique que 10 Songs, plus mélodique encore que It’s a Big World Out There (And I Am Scared), plus dérangeant que Constant Hitmaker, plus rythmé que Smoke Ring for My Halo, parfois plus coloré que Wakin On A Pretty Daze, b’lieve i’m goin down est le nouveau point de référence de la discographie de Kurt Vile.
Alors, on se questionne avant de lancer une nouvelle lecture. Qu’est-ce qu’une grande oeuvre d’art sinon un artiste touché par la divinité qui exprime un message personnel ? Qu’est-ce qu’un chef d’oeuvre sinon la traduction unique d’un ressenti universel ? Je monte sur mes grands chevaux pour m’adresser au grand Kurt Vile dont le statut sera longtemps là. Déjà gourou de toute une génération, il rejoint le club des intouchables en mettant d’accord Neil Young (sur “That’s Life, tho (almost hate to say)“), Bert Jansch (sur “All in a Daze Work“), Nash (sur “Wild Imagination“), le J.J. Cale de Really (sur l’aspect répétitif de “Lost my Head there“), Nick Drake (sur “Stand Inside“) et Randy Newman (sur “Wheelhouse“), produisant l’équivalent du meilleur de chacun sur les titres cités. Prochain objectif, s’attaquer à Van Morrison. Il faudra pour cela réussir à affronter une musique qui se veut épique. À moins que ce soit l’ensemble de sa discographie qui ne le soit déjà.
Roland Barthes theorized the “reality effect,” an accumulation of information (unaudited or erroneous) that creates the veracity of the whole. Kurt Vile discography gives birth to the “unreality effect,” an accumulation of sincere albums that contribute to the creation of a rock star, the antithesis of each item. This ability to amalgamate eclectic artistic expression is unusual and it is necessarily with emotion that one confronts it.
Kurt Vile’s dream has never been so close to coming true. Kurt said to be ready to face the rockstar system and is now headlining all the festivals in which he participates, ah… what an inexorable sign that he will soon have, after the recognition of critics, that of the masses. Paradoxically, Kurt Vile manages to complete this celebrity by being true to himself. The presence of such artists is comforting, precisely because as “Blank Generation” by Lester Bangs articulated, empty artists that managers fill with whatever help just to raise sales still haunts the scene.
His new album (the sixth), b’lieve i’m goin down…, will be released on September 25 via Matador (Pavement’s label, among others). Composed of twelve pieces (for the simple version), it is nothing less than the most obliging albums of the last months/years. Kurt Vile has greatly succeeded in depth, in his voice, in his orchestration and his lyrics. Listening to b’lieve i’m goin down… then require to experience it entirely (not sure what you mean by that sentence).
Wakin On A Pretty Daze has a more immediate aspect that is guided by some excellent earlier works like “KV Crimes“. The sound of b’lieve i’m goin down… Is less permeable, but certainly richer. Based on an introspective theme, Kurt Vile enters a new phase of music, similar to the one of Mac DeMarco with his Another One. Confessing seems to be the new trend among the great songwriters, and that is great news.
In her Memoirs of Hadrian, Marguerite Yourcenar exposes the concept of the temporality of arts. Each era is a limited set that leads artists to only translate the concerns of their time. We find cycles where the central theme is strength (art of ancient Greece), others where family occupies the entire space (Neoclassicism) and some eras where love appears to have a monopoly (the Romantic era). It is clearly too early to say if the 21st century will see the advent of a new creative era (even though there is every reason to think so, especially because of the digitalization of art), but we can already observe that talking about love with sincerity has become an unusual exercise. After the cynicism of the nineties and the overflow of the 2000’s, few artists are now expressing their feelings as those of the Power Pop era once did. Kurt Vile places himself above the fray with an album that goes right into the issue. This is, of course, why b’lieve i’m goin down… is such a fascinating LP.
The album opens with “Pretty Pimpin” that remains the excellent single that we reviewed in July. Best summer hit of the 2015, Once again we see that Kurt Vile’s song titles are among the most memorable. Kurt Vile typically introduces each of his albums with his best hits, and “Pretty Pimpin” is no exception to this rule.
However, b’lieve i’m goin down… is less focused on singles than his previous albums. Then come “I’m an Outlaw“, a title that Kurt Vile must have the desire to compose for a long time. His father was a great lover of bluegrass music, and so it logical that he would finally introduce us to the genre which he no doubt has a personal connection. And then, the initial journey continues with “Dust Bunnies“, one of the least engaging tracks on the album. More poppy, it reminds us of the Kurt Vile of 2013. Make no mistake about it, Kurt Vile was brilliant back then, because his music then allowed us to open our minds to the outside world. The experience here is simply different (and better) on b’lieve i’m goin down…
“That’s Life, tho (almost hate to say)” is the song of a fatalist. While it perfectly illustrates the depth of his voice, there is also the beauty of the arpeggios that perfectly accompany the heavy atmosphere and sublimates the sadness of the lyrics. On the whole, this track is one of the highlights of b’lieve i’m goin down… Kurt Vile at his highest. “Wheelhouse“, for its part, is more difficult to fully appreciate. Kurt Vile glorifies the feeling of solitude while a brass section (his first love) adds a jazzy vibe to complete the battery. The guitar is photogenic, the ultimate evidence of the complexity of these six minutes.
“Life Like This” is the first piece in which his typical instrumentation makes way for piano. Kurt Vile had never used piano this way. He uses the beat of “Pretty Pimpin“, and appends it to a more romantic piece. We rediscover the theme of “life” in the continuity of “That’s Life, tho (Almost haste to say).” Ultimately, “Life Like This” combines the simplicity of the riff with the lyrics “did you get what it takes?” in a unique way that hits very directly. And again, the studio work is remarkable.
“All in a Daze Work” is the one for those who love crystalline purity. I find it to be a slight return to the sound of 10 Songs. The track plunges us into some gloom and bitterness, and yet, gives birth to the expectations of brighter moments that finally appear on “Lost my Head there.” This song, one of my very favorite of the all LP, is undoubtedly the most groovy piece of the whole album. The piano and the bass are a formidable duo. Again, note how Kurt Vile’s voice is perfectly recorded. But above all, this is the second phase of the track that makes it the overall piece into such a hit. Kurt Vile has traversed the border of psychedelic music for a long time (Childish Prodigy, released in 2009, already was in that vein). He finally crosses the threshold with the long jam of “Lost my Head there.”
As for “Stand Inside,” it is, in my opinion, the one with the most stillness of all. This is also the best love song ever written by Kurt Vile. “Stand Inside” always comes back to this “oh my god, I love you,” the real leitmotif. Here his voice is even more intimate than on other pieces. Musically, he perfectly incorporates folk arpeggios to add to the ambient romanticism.
“Bad Omens” is more of a waltz with three-quarter timing. The title is short (2min52s) and instrumental only. It perpetuates the quasi-psychedelic finale of “Lost My Head there” and heads to “Kidding Around.” In this track, Kurt Vile questions the previous ten ones, the meaning of the album and his desire to only produce “pretty” songs. In reality, I do not believe that Kurt Vile himself trusts his questioning, it would be too easy. On “Wild Imagination,” Kurt Vile returned to his earlier intentions, that of “In my Time” on Smoke Ring for My Halo, for instance, where he described his impatience with the future. Kurt Vile sends the song to his beloved one, one more time, which indirectly constitutes the main focus of b’lieve i’m goin down…
Overall, a first feeling of calm and serenity emanates from b’lieve i’m goin down… This album, like Kurt Vile’s last few, is very melodic. Yet, the orchestration never approaches the complexity other artists feel they have to embrace in order to exist. Surely, it is due to the magic of folk music. But only Kurt Vile and Robin Pecknold have recently found how to transcend the genre while staying true to its roots, in line with Paul Newman & co.
There is no doubt that this album will be among the contenders for the best L.P. of 2015. Less rock’n’roll than Wakin On A Pretty Daze, because it is less demonstrative (I don’t get this statement), it has a better studio work (take a listen to Wakin and then b’lieve i’m goin down…, the difference is quite obvious). More poetic than 10 Songs, more melodic than It’s a Big World Out There (And I Am Scared), more disturbing than Constant Hitmaker, more rhythmic than Smoke Ring for My Halo, and sometimes more colorful than Wakin On A Pretty Daze, b’lieve i’m goin down… is the new benchmark in Kurt Vile’s discography.
In the end, what is a great work of art if not an artist touched by divinity that expresses a personal message? What is a masterpiece if not a unique translation of a universal feeling? I get on my high horse to address the greatness of Kurt Vile, because his status will be remain for a long time. He already is one of the musical gurus of our generation, but now he now joins the club of untouchables, flirting with Neil Young (on “That’s Life, tho (almost haste to say)“), Bert Jansch (on “All in a Daze Work“), Nash (on “Wild Imagination“), the JJ Cale of Really (on the repetitive aspect of “Lost my Head there“), Nick Drake (on “Stand Inside“) and Randy Newman (on “Wheelhouse“), producing something on part with the best of every one of them. Next goal, tackle Van Morrison, by producing something epic. Unless we consider that Kurt Vile’s entire discography already is…
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