Alexander “Skip” Spence était un artiste canadien (né en ’46, mort en ’99) qui s’est fait connaitre comme batteur du groupe Jefferson Airplane (auteur de titres aussi géniaux que “Plastic Fantastic Lover“). Il aura également été membre d’autres formations (dont la très bonne Moby Grape) qui auront connu plus ou moins de succès.
La présence d’Alexander “Skip” Spence dans cette série d’articles anachroniques ne doit rien au hasard. D’aucuns disent que la musique expérimentale est ennuyeuse, ou qu’elle ne sert que les intérêts d’une petite poignée de nerds. Professer de telles incongruités ne pouvait rester impuni. Alexander “Skip” Spence est la preuve que la musique peut faire avancer un genre (comme en créer un) sans oublier son bagage de mélodies et d’envolées lyriques.
La discographie d’Alexander “Skip” Spence est facilement tracée. Il n’aura jamais fait paraître qu’un seul album, Oar, en 1969. Aux abords d’un style musical très psychédélique, Skip y avait ajouté le génie des grands albums de Folk, à la Leonard Cohen. Jamais plus ce cocktail ne sera recréé. Inutile de dire que l’écoute d’Oar est ainsi surprenante, parce qu’inhabituelle et clairement habitée par quelque chose d’autre. Certains auront ainsi collé l’étiquette de soundtrack to schizophrenia à cet album composé par un artiste qui souffrait d’une telle maladie mentale. Il y a surement de ça, on y entend des histoires de Saint et de démons, de nombreuses émanations qui semblent venir du plus profond de la terre, là où seuls quelques-uns peuvent aller. Mais il y a aussi et surtout la marque d’un artiste de génie qui aura enregistré son chef d’oeuvre en moins de 15 jours. On citera ainsi Zappa et Syd Barrett comme comparaison, bien que le résultat musical en soit éloigné.
Malin, l’album est introduit par le morceau le plus mélodique de tous, “Little Hands“. C’est déjà du très grand Skip Spence auquel nous sommes confrontés. Aux frontières du genre psychédélique, on se laisse prendre par la puissance du refrain. “Cripple Creek” s’impose dans un style largement différent. Skip y sort une grosse voix folk dans ce qui sera devenu un autre de ses classiques. Vient alors “Diana“, arguably l’un des plus grands titres folk de la décennie. Le chorus semble être celui des passeurs du Styx et Skip Spence y ajoute la grandiloquence des meilleurs morceaux du genre psychédélique.
“Weighted Down (The Prison Song)” est un morceau plus classic folk qui me fait largement penser à Vernon Wray (lien). Si je ne peux m’empêcher de le trouver moins poignantex que les autres, j’y apprécie ce petit jeu auquel Skip nous initie, lui qui semble vouloir nous montrer un faux visage. La maquette est, en effet, fort bien construite et l’alternance entre les titres psychédéliques et ceux de folk classique fait de cet album un ensemble fort peu cohérent, ce qui traduit on ne peut mieux l’univers d’Alexander. Les titres les plus polissés trouvent ainsi une nouvelle signification, parce que plongés dans l’alternance d’un chaos annoncé.
On retrouve un univers plus psychédélique (plus Syd Barrett) sur “War In Peace“, un des temps fort d’Oar. Ce genre de morceau fait de cet opus solo un LP au-dessus de ceux de Jefferson Airplane. Ils relèguent les pseudo-psychédéliques de l’époque à leurs cours de solfèges. “All Come To Meet Her” s’inscrit dans même lignée, mais est trop court pour rester. C’est “Books Of Moses” qui vient nous taper sur la tempe. En plein orage, Oar se noircit encore un peu. Et puis, l’alternance avec la fausse jovialité de “Dixie Peach Promenade (Yin For Yang)” vient confirmer l’impression d’incompréhension qui règne de plus en plus. Vous l’aurez compris, “Lawrence Of Euphoria” nous plonge en plein psych-folk. Peut-être est-ce l’europhie qui définit le mieux cette première partie de l’album. Skip parvient à faire de sa musique l’exact reflet de son âme, c’est logiquement torturé, mais également très imagé.
Avec “Grey / Afro“, une nouvelle phase d’Oar s’ouvre sous nos yeux, surement plus expérimentale et moins psychédélique. Comme son nom l’indique, on se trouve là confronté à 9 minutes de percussions, ala Max Roach. “It’s The Best Thing For You“, plus jazzy, laisse tout le confort à la basse. “Keep Everything Under Your Hat” et “Furry Heroine (Halo Of Gold)” sont du même acabi. Et puis, viennent les quelques titres finaux qui ne dépassent que rarement la marque d’une minute. L’impression d’écouter les chutes d’Oar ne fait que se renforcer au fil des titres. Johnny Thunders s’en sera nécessairement inspiré pour Hurt Me. C’est “I Think You And I” qui ferme la danse.
A bien des égards, la musique de Skip aura influencé une large majorité de la génération folk qui suivra, je pense à Beck, Daniel Johnston, Calvin Johnson, Devendra Banhart, Sufjan Stevens & co. Beck aura d’ailleurs réenregistré Oar dans le cadre de son excellent Record Club. Vous trouverez les vidéos à ce lien (ici). Jonathan, leader de Cardboard, a également eu le très bon goût de retenir cet album dans son top 20. Ce name dropping ne reflète que peu quelle aura été la véritable influence de cet album sur de nombreux autres.
Quelques mois après sa mort, Sundazed Music sortira une version enrichie de cet album. Et puis, Birdman Records fera paraître son More Oar: A Tribute To The Skip Spence Album, un album hommage auquel participeront Tom Waits, Robert Plant & co. Ah, elle est belle la reconnaissance post-mortem. Cela ne l’aura pas empêcher de vivre une vie de SDF dans les alentours de Santa Cruz, rongé par la maladie et l’alcool. Il est désormais dans la mémoire de tous, mais à quel prix ?!
(mp3) Alexander “Skip” Spence – Little Hands (1969)
(mp3) Alexander “Skip” Spence – Diana (1969)
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