Album Review : Fuzz – II (Garage Stoner)





Album Review : Fuzz

II



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FRENCH VERSION
(english below)



Fuzz, et voilà que Ty Segall a tué la pop. Le fait sera désormais établi : on peut encore, en 2015, faire un grand album sans une once de musique pop. C’est un statement majeur, nous allons y revenir. 


Je ne vous ferai pas l’affront de vous présenter ni Ty Segall, ni Fuzz. Pour rappel, simplement, Fuzz a fait paraître un excellent album en 2013 que nous classions deuxième meilleur LP de l’année (classement). Nous disons que “les riffs de guitare y sont de véritables pieux“, ainsi que “le revival Black Sabbath est plus flamboyant encore que son original“.

Lorsque le groupe a présenté ses deux nouveaux singles en juillet dernier (article), je décrivais des titres “un cran en dessous des meilleurs du premier LP“. Ce que je maintiens. Seulement, si “Pollinate” et “Rat Face” sont en effet en dessous de “Loose Sutures” et “What’s In My Head?“, il se pourrait bien que certains autres morceaux de II soient au moins du même acabit.

L’assassinat de la musique pop
L’intégralité des albums de Ty Segall contient des éléments de musique pop. Bien entendu, Ty Segall n’a jamais produit de la pop au sens de ces artistes de la « scène télévisée » que je dénonçais dans ma conversation avec Bret Easton Ellis. Ty Segall n’a jamais écrit des hits dans le but de générer des millions de cliques sur YouTube (Dieu nous garde). Mais cela ne l’a pas empêché de faire tourner ses refrains en boucle, de viser des titres catchy, de délivrer des punchlines (super bien senties), de créer un univers visuel scénique et musical cohérent, de jouer pour et avec le système. C’est ce que je décris comme étant pop dans la musique de Ty, dans celle de tous. Et que ce soit clairement redit, Ty Segall EST le plus grand artiste de la décennie, en partie parce qu’il a su comment réconcilier pop et garage, parce qu’il a su comment élever ces styles à un niveau de créativité supérieur. 
Loin de moi l’idée de dénigrer les albums passés. Chacun d’entre eux doit être respecté pour ce qu’il est : une révolution de la folk garage, des démos punk hardcore qui ravive le corps de Jay Reatard, des jams psychédéliques colorés, des univers de fin du monde romancés, un revival du Glam Rock des grandes années… Ty a fait tout ça, et jamais on ne lui en sera suffisamment reconnaissant. Mais force est de reconnaitre qu’il faudra désormais y ajouter une ligne de plus : l’assassinat de la musique pop. Ty Segall vient de démontrer que l’on peut délivrer un grand album populaire sans pour autant utiliser aucun des codes de la musique qui lui est reliés, pop-ulaire et pop-uliste. Au mieux, on sortira les pop-corn pour les regarder exploser en slow motion, satisfait d’y trouver une analogie avec le mouvement de nos tympans lors de l’écoute de II.
S’il ne fait aucun doute que Ty continuera à produire de la musique pop (ou qui emprunte à la pop) dans les années à venir, il aura au moins démontré qu’il n’y a pas d’automatisme entre performance artistique mondialement reconnue et pop. C’est grand. Cela va à l’encontre de toute la société Empire, même de celle underground / post-Empire qui a depuis toujours inclus de la pop afin d’attirer les foules de son côté (obscure de la force). Les Ramones étaient pop, les Fugazi étaient pop, Sonic Youth était pop. Cet assassinat de la musique pop est temporaire et éternel. Temporaire parce que, à l’évidence, la pop continuera d’être Reine. Éternelle parce que l’on sait.  






L’introduction de l’album est déjà épique. “Time Collapse Pt.II / The 7th Terror” nous embarque dans un cauchemar stoner de plus de 7 minutes. J’y vois une façon de repousser tous ceux qui seraient tombés sur cet LP par le plus grand des hasards. La bande de Ty Segall a un message à exprimer, et j’aime l’idée que II ne cherche pas à débuter par quelques singles histoires d’obtenir l’adhésion, au détriment d’une compréhension. En cela, II est un album pour geeks. La discographie de Ty Segall est faite d’albums super-spécialisés, et pourtant, sa notoriété est à la hauteur de son talent. On commence ici dans la cave où monstruosité est synonyme de normalité. C’est le postulat de cet album.

Rat Race“, fait apparaître les premières ressemblances avec le Kautrock, en raison de son mécanisme. C’est Charles Moothart qui chante, le bassiste du groupe. Mais là n’est pas l’essentiel. Let It Live” est le premier titre d’exception de l’album. Un des seuls titres à laisser tant de place au refrain, il s’impose surtout par la puissance de la voix de Ty Segall, parfaitement produite. Et puis, Charles y envoie quelques-uns de ses premiers solos. Le titre ressemble à mon sens tout ce qui fait de Fuzz un groupe génial : le stoner, le séquençage, la voix de Ty Segall, les solos seventies et l’introduction d’un psychédélisme sadique. La batterie cogne violemment, le son y est très sec, c’est imparable. La ballade dans le sombre château de II continue ainsi, mais que doit-on “laisser en vie” ?

Pollinate” est le deuxième morceau que nous connaissions déjà. Si, à mon sens, le titre passe trop en force, on ne peut rester indifférent à tant de despotisme. “Bringer Of Light” pour sa part redonne vie à une guitare très aggresive, qui me fait en un sens penser à celle de Brown Brogues. Et puis, la voix y est très ressemblante avec celle Naomi Punk ! Pipe” vient en rajouter une couche, plus noisy encore, plus stoner et plus noire. Le premier tiers de l’album se conclut ainsi, sous les coups de massue du duo guitare/batterie qui nous prend à la gorge sans jamais relâcher l’étau. C’est lugubre et encore mystérieux, II est loin d’avoir dévoilé sa substance. 

Say Hello” est d’un autre calibre et c’est à partir de lui que tout change. Deuxième merveille de l’album (
Let It Live” étant la première), il feint de ne nous amener sur des territoires plus exotiques afin de mieux nous assaillir. Ty Segall a toujours démontré être un maître dans l’art des changements de rythmes. Say Hello” en est une nouvelle preuve. Ty y semble encore plus maléfique, son visage défraîchi bouge au son de la batterie, ou peut être flotte-t-il dans les airs. On est plus très loin de l’univers de Fritz Lang, le glauque a laissé place à la fascination d’un son toujours plus déchirant. Ce titre ne pourrait être que l’œuvre de Fuzz, course poursuite dans une forêt un soir de pleine lune. Who’s there? Hello!

Burning Wreath” enchaîne sur des variations similaires. La batterie n’a jamais été aussi sèche. On se rapproche de l’explosion constante des Fugazi (dans un genre bien différent, mais avec une intensité similaire). Ce titre contient le plus beau solo de tout l’album. Ca pique, ça brûlePlus punk que les autres, “Red Flag” (après Black Flag, le rouge) ranime autant les Bad Brains que le squelette de Joe Strummer. “Jack The Maggot“, mon premier coup de cœur de tout l’album, est le troisième joyau de II. Tout y semble délabré : les voix viennent probablement de l’aspect inhumain que Ty Segall semble chercher, la guitare super saturée rappelle les vieux solos des MC5 et la basse bourdonne pour rajouter en intensité.

On retrouve des places plus humaines avec New Flesh” et Sleestak” qui, en réalité, sont en dessous du niveau des quelques précédents, peut être trop courts plus explorer notre (in)consciente attirance vers le monde des défunts. Silent Sits The Dust Bowl” fait partie de ceux qui se la jouent ‘introduction rêveuse’. Nous connaissons désormais le trick (or treat) et lorsque la déflagration surgit à 2min25, nos sens sont déjà en émoi, prend à ce que le cadavre de Sade vienne tenir le microphone. 

Le dernier nous tombe enfin dessus. Nous l’attendons depuis le premier regard sur la back cover, II” atteint la marque de 13min49, autant dire que l’on ne pouvait résister à écouter ce qu’un groupe qui n’a jamais craint l’épique soit prêt à créer dans un morceau qui le permet. Fuzz part (au grenier) à fond la caisse et la batterie de Ty Segall imprime une fois de plus quelque chose de similaire au groupe CAN. La neuvième minute, plus psychédélique, fait entrer ce morceau dans une nouvelle dimension où les univers fantasmés des plus grands romanciers de science-fiction viennent tous s’entrechoquer dans une explosion finale de mille couleurs. 





Du côté de l’artwork, on retrouve toujours Tatiana Kartomten qui a travaillé sur le premier album de Fuzz, sur le premier de Meatbodies ainsi que l’album Slaughterhouse du Ty Segall Band. Côté mastering, c’est J.J. Golden qui est aux manettes, avec Ty Segall. Je note d’ailleurs à quel point Ty a su s’imposer comme l’un des meilleurs producteurs au monde. Des albums comme II méritent une attention toute particulière, ce sont des albums où l’instrument est roi, où le son prime sur tout le reste. Et quelle réussite !

En ce que II renforce son attitude stoner et en ce qu’il supprime toute pop music de l’équation, il ne fait aucun doute qu’il s’adresse à moins de monde que le premier. De plus, l‘expérience de II est éreintante. L’ensemble des titres forme un tout de plus d’une heure, autant dire que le marathon de New-York est désormais à notre portée.

Comme sur Mutilator Defeated At Last, je trouve dans cet album quelque chose de quasi-religieux. La mise en scène y est pour beaucoup, le groupe semble procéder aussi méthodiquement qu’un pasteur. Paradoxalement, c’est parce que le groupe possède cette méthode qu’il peut se permettre un album violemment anti-industrie. Rien n’y est fait pour contenter le plus grand nombre, c’est bien là l’avantage de faire paraître son album sur des labels indépendants. Ty Segall pourrait clairement s’imposer comme le roi de Colombia Records ou de Sony Music, mais il n’en est rien, et c’est tant mieux. II illustre parfaitement ce que peut couvrir le terme de musique indépendante. Toujours chez In The Red Recordings, et semble-t-il pour longtemps, Fuzz fait désormais partie des grands du monde d’aujourd’hui.

S’il faut “juger un homme à son enfer”, les fidèles de Fuzz seront forcément graciés. Pourtant, II est un album qu’il ne faut pas mettre entre toutes les mains. Peut-on, s’il vous plaît, refaire la bande-son du film Elephant avec “Say Hello” ? Noppp… Le fait est que “l’appétit funèbre sans fin” dont je parlais lors de la chronique du premier album vient d’être en partie rassasié. En partie seulement…







(mp3)
Fuzz – Say Hello

(mp3)
Fuzz – Jack The Maggot



Liens afférents : 
Album Review du premier album de Fuzz
Article sur les titres “Pollinate” / “Rat Face




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ENGLISH VERSION
(french above)


Ty Segall just killed pop music! The fact is now established: one can, even in 2015, make a great album without an ounce of pop music. This is a major statement.

I will not introduce Ty Segall or Fuzz for the 15th time. As a quick reminder, Fuzz has released an excellent album in 2013 that we ranked second best LP of the year (ranking). We said at the time that “guitar riffs are pious,” and that “the Black Sabbath revival is even more blazing than the original.” When the band revealed its two new singles last July (see our article), I described them at being “one notch below the best songs of the first LP”. But, if “Loose Sutures” and “What’s In My Head?” are indeed better than “Pollinate” and “Rat Face“, the rest of II is at least as good.


The assassination of pop music


All previous LPs of Ty Segall contained some elements of pop music. Of course, Ty Segall has never produced some commercial MTV type of pop music. Ty Segall never wrote any hits in order to generate millions of clicks on YouTube (God forbids). However, he did use some catchy loops in his titles, he did write some great punchlines, he did create a (coherent) visual identity and he did play with and for the system. This is what I describe as being pop.

I reiterate that Ty Segall IS the greatest artist of the decade, in part because he reconciled pop and garage music. And each of his previous LPs must be admired for what they are: a revolution of garage folk, some great punk demos which revive Jay Reatard’s body, some colorful psychedelic jams, the fictionalization of the end of the world, a revival of Glam Rock music… Ty Segall has done all that, and we are very grateful for it. But we will now add a new line to his resume: the assassination of pop music. Ty Segall has just shown that we can deliver a great popular album without using any element of populist music.

While it makes no doubt that Ty will continue to produce some pop music (or borrows from it) in the coming years, he will at least have shown that there is no automatic link between good art performances and pop culture. This is big! This goes against the whole “Empire culture”, even against the underground / post-Empire one which has always included some pop to get bigger. The Ramones were pop, the Fugazi were pop, Sonic Youth was pop. Fuzz is not. And the killing of pop music is temporary and eternal. Temporary because, obviously, pop music will continue to be the Queen. Eternal because now… we know.




The first track is already epic. “Time Collapse Pt.II / The 7th Terror” takes us on a stoner nightmare of more than 7 minutes. The words “monstrosity” and “normality” are here synonymous, this is the premise of the entire album. Fuzz has a message to deliver and I like the idea that he does not try to start with a few singles in order to get people sympathy. For that reason, among others, II is an album for geeks. But Ty Segall discography is made of super-specialized albums, and yet, his fame is now worldwide…

Rat Race“, reveals some similarities with Kautrock music, due to its mechanical aspect. Then comes “Let It Live“, the first amazing track of the album. The power of Ty Segall’s voice, here perfectly produced, is unstoppable. Charles delivers a great guitar solo. This song sums up what makes Fuzz such a good band: some stoner music, some good sequencing, the voice of Ty Segall, some solos ala seventies and the introduction of sadistic psychedelia. The battery bangs violently, the sound is very dry, this is foolproof. The walk into the dark castle of II continues…

Pollinate” is the second song we already knew. This track tries too hard in my opinion, but one can not remain indifferent to so such a good despotism. “Bringer Of Light“, for its part, gives life to a very aggressive guitar while the voice is very similar to that of Naomi Punk! “Pipe” is even more noisy, more stoner, blacker. At this point, the LP remains gloomy and mysterious, II is far from having revealed its substance.

Everything changes with “Say Hello“. The track feigns to lead us to some more exotic territories so it can better attack us. Ty Segall has always proven to be a master in the art of rhythm changes. “Say Hello” is a new evidence of it. Ty is evil, his face is moving to the sound of drums, or maybe it is floating in the air. We are not very far from the world of Fritz Lang with this increasingly tearing sound. This title could only be the work of Fuzz. Who’s there? Hello!

Burning Wreath” is made of a similar substance. The drum is even harder, this song reminds us of how good were the Fugazi for producing tracks with constant explosions (in a very different kind, but with similar intensity). This title contains the finest solo of the entire album. It burns. More punk than others, “Red Flag” (after the Black Flag, the red one) revives Bad Brains as well as the skeleton of Joe Strummer. “Jack The Maggot“, is the third jewel of II. This is all super-saturated, kind of a reminiscence of MC5.

We find back humane places with “New Flesh” and “Sleestak” which, in reality, are below the level of the previous ones, maybe too short to explore our (un)conscious attraction to the world of the dead. Then comes “Silent Sits The Dust Bowl“. The explosion arises at 2min25, as if Sade’s corpse had come held the microphone.

The last song of 13min50 is called “II“. We could not resist listening to what a band that never feared epic music could do with a piece that allows it fully. Fuzz is at full speed and Ty Segall’s drum, one last time, is quite similar to the one of CAN. The ninth minute is the more psychedelic, this piece brings a new dimension where the worlds fantasized by the greatest sci-fi novelists are all colliding in a final explosion of a thousand colors.



The artwork is made by the great Tatiana Kartomten who also worked on Fuzz’s first LP, the first Meatbodies and Slaughterhouse. The mastering was made by JJ Golden as well as Ty Segall who is now recognized as being one of the best producers in the world. LPs like II deserve special care/producing because the sound of the instruments overrides everything else. And what a success!

As we

said, II strengthens the stoner attitude of the band while it removes any form of pop music. As for Mutilator Defeated At Last, I find something really religious in this LP. The staging is perfectly made and the band seems to proceed as a pastor. Nothing is done to please the greatest number, the advantage to publish on album on independent labels. Ty Segall could clearly established itself as the king of Columbia Records or Sony Music, but he chose not to, the reason why he perfectly represents the independent scene. Still on In The Red Recordings, Fuzz is now one of the best today bands.

One said that God will “judge a man to his hell”. Fuzz supporters will be pardoned. “The funeral endless appetite” I described in the review of the first album has just been in part satisfied. Only in part…

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