DIIV est un groupe originaire de Brooklyn qu’il est parfois de bon ton de critiquer. Yes, DIIV irrite aussi ceux qui voient dans la musique lo-fi un exercice trop facile, gommant les imperfections à la façon d’une photo en noir et blanc. Et puis, Captured Tracks (son label) agace du fait de son inclination à ne sortir que des hits. Seulement, il serait une offense de comparer DIIV à toute cette horde de groupes lo-fi qui, effectivement, ont comme prétexte d’enregistrer leurs démos avec le capteur son d’une webcam pour vendre une image de cool. Il est vrai que DIIV vend également cette image, celui du revival nineties qui DOIT vous convaincre, parce que les nineties, c’est cool. DIIV en joue et sait comment se marketer. Mais cela va avec une effronterie qui n’a rien de comparable avec le reste de cette scène là. Cela va, aussi, avec une volonté disruptive, visant l’éloignement avec les clichés d’un style musical qui en souffre trop. Comment ? Explications.
Après avoir fait paraître ses premiers singles en 2011, on se souvient que DIIV avait délivré un premier opus fort intéressant, le dénommé Oshin. Il donnait déjà dans une dream pop lo-fi qui emportait avec elle de longs jams, c’était agile mais perfectible. Le groupe est revenu début février avec Is The Is Are, l’un des albums pour lequel j’ai constaté le plus d’attente depuis la création de Still in Rock. Et sans vouloir d’entrée briser le secret, cet LP est trois crans au-dessus du précédent. La raison ? Un long processus de maturation que le groupe nous a décrit dans un long interview conduit en décembre dernier (lien). Et pour faire taire les mauvaises langues, nous avons accepté cet interview qu’après avoir écouté l’album, n’y voyez donc pas une fausse relation de cause à effet, comme une obligation d’encenser un LP dans le but de conserver une cohérence d’ensemble.
Avec Is The Is Are, DIIV est sorti du pathos d’Oshin. L’album est en cela beaucoup moins facile. Si Zachary Cole Smith nous confiait ses envies funestes dans l’interview précité, notons qu’il s’est bien abstenu de nous les cracher à la figure, nul “prends ma tristesse et plains-moi“. Alors, bien souvent, DIIV parvient à ce que Beach House sait également faire : nous émouvoir parce que sa musique nous transporte vers des sonorités désincarnées, sorte de ballade dans l’espace sonore d’un groupe à l’identité inégalée. Et puis, à la différence de certains Beach House, on ne retrouve jamais cette sensation d’un passage en force. Le groupe ne durcit pas le trait, il lui arrive, au pire, d’être un brin moins créatif lorsque certaines mélodies semblent trop convenues, mais là s’arrête déjà la liste des défauts.
“Out Of Mind“, le premier morceau, sera l’un des plus joyeux de tout l’album. Ne vous en détournez pas pour autant, you emo, la volonté de DIIV est on ne peut plus louable : commencer gaiement pour masquer la tristesse ambiante. “Under The Sun“, le deuxième, est déjà l’un des grands temps forts de cet LP. La transition vers un ciel à la Turner se fait lentement, le refrain est dynamisant et l’effort porté sur la production se fait déjà remarquer. “Bent (Roi’s Song)” vient compléter ce trio introductif en tout point excellent et DIIV achève de nous guider vers une journée pluvieuse. La voix de Cole Smith a l’avantage de sa monotonie, laissant toute la place au message délivré. DIIV est tourné vers le passé, ce que le shoegaze du morceau traduit parfaitement. Son final est immanquable.
“Dopamine” est déjà plus féminin, et c’est avant que n’intervienne “Blue Boredom (Sky’s Song)“, l’oeuvre partagée avec Sky Ferreira. La chaleur envoutante de sa voix contraste elle aussi avec le champ lexical de cet album : l’amertume, la mélancolie et la maussaderie (voyez l’idée). Et l’on se dit que Sonic Youth n’a jamais été aussi proche, peut-être même trop proche pour que l’on puisse le créditer pleinement au groupe. “Valentine” est l’un des titres les plus sombres de tout l’opus, aussi l’un des 5 meilleurs. La guitare sautille et annonce l’exaltation de “Yr Not Far“.
“Take Your Time” passerait inaperçu si l’on n’y voyait pas un symbole de ce qu’est Is the Is Are, un album qui emprunte parfois au flow du jazz sur des jams qui permettent au groupe d’exprimer langueur et tonus. “Is The Is Are“, pour sa part, est l’un des morceaux les plus travaillés de cet LP. Les échos placés sur la guitare viennent parfaitement suppléer le synthé qui rajoute en psychédélisme. Vient ensuite “Mire (Grant’s Song)“, un titre instrumental qui rappelle à nous l’odeur de la pluie fraichement tombée. La voix de Zachary Cole Smith est plus fantomatique que jamais, l’expérience de cette pop spectrale vient s’entrechoquer avec le style shoegaze que DIIV maintien sans jamais défaillir. Et encore ce jazz. “Incarnate Devil” perpétue le mouvement avec des boucles plus rapprochées, fortifiant Lucifer dans un espace sonore plus noisy, un véritable tourbillon.
“Healthy Moon” attaque la dernière ligne droite, tout en contrôle, surement plus proche de l’univers d’Oshin. Et toujours, en fond, ce bourdonnement qui caractérise la pop spectrale façon Alex Calder. “Loose Ends” se veut plus scintillant et parvient à nous faire espérer une petite lueur de positif. L’interlude “(Napa)” casse toutefois ce bel élan et nous plonge droit sur “Dust“, l’une des plus belles réussites de cet album. La batterie de Colby Hewitt rappelle le “Nothing That Has Happened So Far Has Been Anything We Could Control” de Tame Impala tandis que la guitare crie ses dernières forces. Ce titre, plus rock’n’roll que les autres, nous fait comprendre l’apport de Jacob Portrait au mixage de l’album, lui qui a également travaillé avec Bass Drum of Death. La pression redescend enfin avec “Waste Of Breath“, retour dans la brume d’un petit village anglais perdu au milieu des collines, à la Spacemen 3.
Le paradoxe de DIIV continuera à déranger : le groupe se la joue cool, voyez le nombre de photos sur les press kit, mais force est de reconnaitre qu’il l’est aussi, terriblement. Qu’il serait dommage de s’arrêter à l’image qu’il renvoie alors que cette musique a tant à nous dire. Comme Julia Cumming l’a fait (groupe Sunflower Bean), Cole Smith a lui aussi collaboré avec Hedi Slimane (lien). Ouais, je maintiens que cela desservira le groupe, parce que le message envoyé se veut trop corporate. Mais ce serait sans considérer le fait que Shannon Shaw (Shannon & The Clams) était elle aussi au défilé américain de YSL il y a deux jours à peine. Et qui pourrait contester la suprématie du cool de Shannon ?! La même chose vaut pour DIIV.
Au final, Is the Is Are est au shoegaze ce que Ty Segall est au garage : on retrouve les codes de la musique originelle, mais il y a ce fantasme qui souffle un vent d’audace et qui le place au-dessus de la meute. Les autres copieront. L’album score là où la pop spectrale trouve d’habitude ses limites, sur la capacité à nous bercer autant qu’à nous galvaniser. C’est fort, espérons que l’on soit nombreux à s’en rendre compte.
(mp3) DIIV – Bent (Roi’s Song)
(mp3) DIIV – Dust
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