Sonic Youth Week: L’ovni, Goo (1990)

Cet article fait partie de la “Sonic Youth Week
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Sonic Youth. Notre semaine consacrée au groupe Sonic Youth continue et je suis heureux de vous présenter l’excellent album Goo, le sixième essaie studio du groupe. Il paraît en 1990 via DGC, un label du groupe Universal Music, le premier Mahor de Sonic Youth. Si le sous titre de cet article est “l’ovni”, c’est pour la bonne et simple raison que faire paraître un album à ce point expérimental après le succès de Daydream Nation et après avoir signé chez un grand nom de l’industrie… c’est pour le moins très étrange, pour le plus absolument génial.
Pour cet album, Sonic Youth invite deux artistes à se joindre à lui, J. Mascis et Don Fleming. Le premier est connu pour avoir créé Dinosaur Jr. tandis que le second s’est illustré à travers les Velvet Monkeys. Et puis, comme pour Daydream Nation, c’est Nick Sansano qui est charge de la production, connu pour avoir également travaillé avec The Jon Spencer Blues Explosion, Public Enemy et The Bats. N’oublions également pas de citer la participation de Ron Saint Germain, ancien producteur de Bad Brains et d’Ornette Coleman.
Goo est introduit par “Dirty Boots“, l’un des morceaux les plus épiques de Sonic Youth, c’est dire. Le riff introductif revient sur un final grandiose, et entre-temps, un Thurston Moore inspiré qui laisse toute la place à Lee Ranaldo avant de délivrer une partition super noisy. Sonic Youth est punk, Sonic Youth est sale et bien inspiré.
Entendez alors le tonnerre de “Tunic (Song For Karen)“. Sonic Youth introduit une ambiance d’épouvante par le biais de Kim Gordon, comme souvent. Personne n’ira nulle part, c’est elle qui le dit. On se rend compte, par ailleurs, à quel point les deux guitares se complètent à la perfection. Sans trop emprunter au son grunge qui commençait à envahir la scène, Sonic Youth maintient le cap vers un rock’n’roll expérimental. Précisions également que ce morceau est un hommage à Karen Carpenter, un batteur des années ’80 décédé d’anorexie nerveuse. Le groupe l’imagine au paradis, en compagnie de Dennis Wilson, Elvis Presley et Janis Joplin. Je ne suis pas certain que ces quelques accords symbolisent au mieux l’apaisement, mais c’est voulu ainsi.
Mary-Christ” est reconnaissable entre tous par son aspect proto-punk qui coupe avec le travail studio effectué par ailleurs. Le titre est ainsi commencé, “Talking to a punker priest Just dogging the breeze“. Il est pour le reste un exemple de ce que le groupe savait développer l’instru’ la plus rusée, écouter plutôt à 1min30.
Vient alors “Kool Thing” qui fut le single de cet album, le fer de lance pour les radios et télévisions. Ah, j’imagine le truc, entre deux pubs pour les corn flakes, un petit Sonic Youth qui fait dégobiller mamie. Ce titre fut écrit en mirror à la déception de Kim Gordon lors de son interview avec LL Cool J pour Spin quelques années plus tôt. On y entend Chuck D du groupe Public Enemy, noyé dans cet art-rock pour les gens bien avisés. Le plan initial était d’appeler cet album Blowjob?, peut-être “Kool Thing” en est-il la cause. “Mote” conclu alors la face A sur 7 minutes où la voix de Lee Ranaldo n’a jamais si claire. La seconde moitié est enseignée chez Satan.
On attaque la face B avec “My Friend Goo“. C’est Kim Gordon qui s’en charge dans un style creepy qui n’est pas sans rappeler la voix des petites filles en robe de chambre dans les films d’horreur. “Viens jouer avec mon fantôme, il est cool…” Toujours est-il que cet album ne souffre toujours pas du moindre ralentissement. On enchaine alors avec “Disappearer” dont le final rappelle le titre introductif. L’aspect post-apocalyptique de ce morceau est évident, plus encore que sur les autres.
Goo se poursuit sur “Mildred Pierce“, l’un des premiers morceaux jamais écrits par Sonic Youth, également l’un des seuls à s’inscrire dans le cadre classique d’une guitare accordée conformément aux écoles de musique, avec des accords de classe. Cela ne l’empêche pas d’être aussi sauvage que les autres. Ou plus, écoutez plutôt le carnage des dernières secondes. “Cinderella’s Big Score” prend le relais. Tout y est, la brutalité des quelques morceaux de cet LP, l’aspect plus réfléchi de “Dirty Boots“, la mélodie des grands Sonic Youth… Notons ici que beaucoup  des morceaux de cet LP auront une vidéo, l’effet post-Daydream Nation… Ne manquez pas celui de “Cinderella’s Big Score“.
Scooter + Jinx” fait une transition façon Massacre à la tronçonneuse et c’est finalement “Titanium Exposé” qui porte l’estocade. Le son de la batterie de Goo est encore meilleur que celui de Daydream Nation, du fait d’une batterie plus complète. Ce dernier morceau en est la preuve incontestable. Sonic Youth fini aussi vite que ce qu’il a commencé et le groupe n’a jamais été aussi proche du stoner. Goo est une masterpiece de l’histoire du rock’n’roll, une autre. Ne manquez pas la version japonaise qui contient de nombreux titres bonus, comme toujours.

 

Au final, Goo d’un niveau équivalent à Daydream Nation. Il est particulièrement remarquable en ce qu’il succède à l’album précité sans pour autant chercher à trop en faire, sans chercher à se trahir d’aucune façon. Dans l’ensemble, Goo est plus fourni que l’album qui l’avait précédé, de sorte à intensifier encore l’expérience Sonic Youth, symbole de toute la confiance que le groupe pouvait alors avoir en lui. Le grand écart avec le premier album est ainsi opéré, du dépouillement magistral de ce premier essaie jusqu’à l’étoffe d’un chef d’oeuvre. Les deux méritent une place dans toutes les bonnes bibliothèques. Et si Goo n’a jamais été intégré une collection officielle, à la différence de Daydream Nation, ce n’est pas faute d’avoir emporté l’adhésion des gangs new-yorkais.Goo est également un ovni en ce qu’il aurait pu être l’album avec lequel Sonic Youth serait devenu sérieux, et qu’il n’en est rien. Goo n’en jamais qu’une succession d’idées géniales qui viennent toutes du même terreau : l’envie d’aller voir plus loin, sans trop penser au reste. Ca semble de rien, dit comme ça, mais le fait est que les groupes de musique expérimentale pêchent souvent de ne plus rire et de ne plus jouir de la liberté de respecter ou non les cadres communs. Sonic Youth joue l’un de ses morceaux les plus classiques sur cet album, preuve qu’il n’était pas rentré dans un système, preuve qu’il ne considérait pas l’engouement qui l’entouré. Il serait sinon aller voir du côté d’un rock super prétentieux et inaudible, pour avoir le statement du groupe star que personne ne comprend.

On se souviendra également de Goo comme l’album avec lequel Sonic Youth tournera en compagnie de Nirvana en 1991. Un excellentissime documentaire en résultera, le bien nommé 1991: The Year Punk Broke. Je ne saurai trop vous encourager à le visionner, on y voit toute la rage de la bande de Kim Gordon et Thurston Moore, loin des clichés et proche des supposés. Sonic Youth et Nirvana sont à mon sens les deux seuls groupes réellement underground a avoir pu approcher le grand public. La raison ? Impossible de le dire avec confidence, mais le fait est que si Sonic Youth avait lui aussi sombré dans le grunge, il ne serait pas là où il est aujourd’hui.
Enfin, cet article ne serait pas complet sans signaler le nom de l’artiste ayant réalisé cette pochette devenue culte, Raymond Pettibon. Peu de dessins peuvent se vanter d’avoir autant d’importance en matière de rock’n’roll, on compte la banane des Velvet, le logo des Ramones et probablement une poignée d’autres. Le fait est que ces deux personnages sont aujourd’hui symbole du cool (voir la photo originale). Placer cette représentation de Maureen Hindley et David Smith – connus pour les Meurtres de la lande – en Une de Still in Rock a longtemps été un rêve, voilà une bonne chose de faite.

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