Idles, c’est un groupe originaire de Bristol, l’un des claques (anglaises) de 2017. Son premier album, Brutalism, est paru sur Balley Records un peu plus tôt cette année, et si j’ai trainé à l’écouter – je dois ici remercier Marion Seury – j’y ai finalement trouvé ce que j’aime dans le rock anglais sans que le groupe ne fasse… ce que je n’aime pas dans le rock anglais. Logique, mais je vais m’expliquer.
Sur Brutalism, Idles magnifie la violence du quotidien, les agressions permanentes et sartriennes : l’enfer, c’est les autres, une phrase qui – je le cite – “a été toujours mal comprise. On a cru que je voulais dire par là que nos rapports avec les autres étaient toujours empoisonnés, que c’était toujours des rapports infernaux. Or, c’est tout autre chose que je veux dire. Je veux dire que si les rapports avec autrui sont tordus, viciés, alors l’autre ne peut être que l’enfer. Pourquoi ? Parce que les autres sont, au fond, ce qu’il y a de plus important en nous-mêmes, pour notre propre connaissance de nous-mêmes”. Idles s’en fait le nouveau porte-parole. Avec Brutalism, il magnifie cet enfer, celui d’une journée trop chargée, celui d’une ville trop bruyante ou d’une addiction trop inévitable.
Joe Talbot, son chanteur, exprime une répulsion constante, comme s’il rendait aussi un hommage au film de Roman Polanski. Il guide cet album, toujours avec un temps d’avance. Le reste est une instru’ implacable, entre post punk, garage, noisy et autres expérimentations. Et finalement, on en revient encore et toujours à la conclusion de Sartre : l’album s’acharne parce que les autres sont essentiels, le sujet ne varie pas, précisément, parce que Idles est un optimiste refoulé.
L’animosité dont je parlais éclate sur “Heel / Heal“, le premier titre qui, d’entrée, set the tone d’un album british à souhait. Ce morceau, c’est du super-punk, le fruit de 40 années d’évolution depuis les Pistols jusqu’à cette apologie de la violence ordinaire, apologie parce que Idles en fait quelque chose de majestueux. Well Done” tabasse. Fort. Avec batte(s). On ne peut s’empêcher de visionner ses gangs anglais qui, avec leurs perfectos mal coupés, sèment la terreur dans les rues brumeuses de Bristol. Et une fois encore, Idles en revient aux rapports que l’on entretient tous : l’autre fait mieux, l’autre est une menace, il faut l’exterminer.
“Mother“, c’est le grand hit de cet LP, le punk engagé comme seuls les Anglais savent le faire, mais sans too much, sans effet de manches mal venu. Tout le peuple seventies des grandes usines semblent avoir participé à ce morceau, Thatcher en ligne de mire. Idles se dit fatigué de regarder ces belles choses, comme s’il voulait encore plus de gris, du carbonisé pour nos oreilles endurcies.
“Date Night“, c’est du post-punk pour les fougueux cathartiques. Idles n’y aime pas grand monde, et si l’on pourrait croire que le refrain pop nous veut du bien, on se dit en réalité qu’il faudra attendre pour que le groupe fasse preuve de modération. “Faith In The City” est une pièce cynique, cette fois-ci relativement nineties et apologique : le cancer, l’absence de spiritualité, la mort de l’entre-aide, l’apitoiement. Son praised the lord est d’une impulsivité peu commune, et c’est à “1049 Gotho” que revient la tache de clore la première face de l’album. Idles capitule, persuadé que nous sommes tous domestiqués.
“Divide And Conquer“, c’est autre chose. Ce titre extermine toute lumière en quelque seconde à peine et nous voilà membres du gang, divisé et conquérant. Organiser la terreur est la seule stratégie qui vaille, ce que Idles orchestre avec ce punk rock opaque. N’ayez pas peur de la source noisy et monstrueuse.
“Rachel Khoo” vient alors nous dire que le féminisme viendra nous sauver, mais Idles finit par agoniser. Et il dépérit également dans les sphères qui représentent souvent le seul espoir : l’art ? À en croire la vidéo – voir ci-dessous, le syndrome de Stendhal semble être le syndrome du bullshit de l’art moderne. Ou plutôt, de la façon dont il est apprécié et jugé, une fois encore, l’enfer, c’est les autres. “Stendhal Syndrome” le redit, sans élégance particulière, mais avec l’acharnement que l’on veut.
“Exeter” semble être le fait d’un clown pour lequel plus personne ne se passionne. Rien n’arrive jamais, c’est un thème commun de nombreux titres rock. Idles y ajoute la répétition, le rien à l’infini. La dernière minute vient décoller la rétine de celui qui l’écoute trop fort. “Benzocaine“, c’est un anesthésique et Idles tente logiquement l’expérience : paralyser par la véhémence, tabasser, tabasser. “White Privilege” – à regarder – est la nouvelle occasion pour en mettre un coup à Jesus, ce doux idéaliste qui n’a jamais connu les autres autrement que par les clous. “Slow Savage” est logique. Idles devait montrer un peu d’indolence, pour que tout fasse sens.
Au final, la source hargneuse de Brutalism ne se tarit jamais. Idles tabasse chaque seconde de son album et on ne ressent jamais aucune lassitude, pire encore, on demande à être cogné de plus en plus fort, Fight Club. Seuls quelques les groupes anglais savent le faire. Idles est désormais le chef de file de ce punk venimeux.
Avec Brutalism, il signe l’un des meilleurs premiers albums de l’année, mais aussi, l’enclenchement d’un nouvel espoir pour la scène UK qui peut enfin renouer avec ses figures légendaires sans que l’on ne sente l’écrasement habituel. Cela doit être célébré, autant que la violence quotidienne doit être savourée. Le reste n’est pour l’heure que bullshit.
(mp3) Idles – Well Done
(mp3) Idles – Divide And Conquer
Tracklist : Brutalism (LP, Balley Records, 2017)
1. Heel / Heal
2. Well Done
3. Mother
4. Date Night
5. Faith In The City
6. 1049 Gotho
7. Divide And Conquer
8. Rachel Khoo
9. Stendhal Syndrome
10. Exeter
11. Benzocaine
12. White Privilege
13. Slow Savage
Liens :
Article sur Wytches (UK)
Article sur Blond Blood (UK)
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