Tracy Bryant, c’est l’un des favoris actuels de Still in Rock, un artiste originaire de Los Angeles qui, avec sa pop élégante et brumeuse, fait office d’électron libre sur Burger Records. Son deuxième album, A Place for Nothing and Everything in Its Place, vient de paraître sur le label et l’on se retrouve nez à nez avec un opus en deux temps. Sa première moitié, rieuse, nous fait croire à un Tracy Bryant attendri, tandis que la seconde s’impose comme le temps de la réalisation : Bryant est toujours ce spectre difficile à saisir, souvent trop vaporeux pour que l’on puisse tout comprendre. Et sa stratégie fonctionne parfaitement.
“The Grave” cache bien son jeu. Si son appellation laisse penser à un Tracy Bryant tout en spleen, on se rend rapidement compte qu’il faudra compter sur quelques accords qui nous rappellent bien plus un soleil de juillet que les feuilles tombantes de l’automne. L’introduction de “Velvet Kids“, pour sa part, semble être le nouveau single d’un quinquagénaire Floridien, mais c’est avant que la voix de Tracy Bryant rajoute un peu en intensité. L’aspect pop de ce morceau a un côté facile qui peine toutefois à nous convaincre autant que les titres de son premier LP.
Vient alors “Forever Certain“, son véritablesingle. Une fois encore, Tracy Bryant semble y avoir introduit un peu de folk, ce qui contentera une partie de la scène, mais qui, je trouve, soustrait un peu de l’aspect brumeux de Subterranean. Heureusement, l’excellente production lui donne des allures de quasi-hit ! Et “I Don’t Love You Anymore” de parfaite cette ambiance piano-bar plutôt légère.
“A Crowded Room” a l’avantage d’une belle ligne de basse, avec son introduction très Beatles. Son côté décousu rappelle ensuite Cass McCombs, ce qui n’est pas pour nous déplaire, et puis, le chorus ajoute un brin de pop spectrale qui va bien à Tracy Bryant. Le deuxième temps dont je parlais en introduction arrive véritablement sur ce morceau, plus mélancolique que les précédents. Un des récents articles que j’écrivais à son égard était intitulé Los Angeles la nuit, et c’est précisément ce que l’on retrouve ici.
“White Meat” enfonce le clou. Baladeur et parfois langoureux, il refait de la pop de Tracy Bryant une démonstration de post-nineties. Imaginez marcher au milieu de grands manoirs, la nuit, seul. “X-Ray“, avec la voix de Tracy dédoublée, donne l’impression d’un titre fantomatique, de la soft pop qui ne tend pas véritablement vers la pop spectrale ni même la dream pop. Peut-être ce titre est-il de l’anti breeze-pop…
Et “Right Here Waiting” de renforcer cette sensation qu’un voile noir s’est doucement posé sur l’album. Malgré une guitare acoustique tout en douceur, Tracy Bryant parvient à transformer suffisamment sa voix pour que l’on ait la forte impression d’un venu d’ailleurs. Quelle est la source de cette métamorphose, je l’ignore, une chose est certaine, l’intention est au mystère. “Unlonely” conclut avec un retour à la pop folk de l’introduction. Tracy y est distant.
Au final, il faut plusieurs écoutes pour se convaincre de la réussite de cet album, parce que sa première partie est assurément plus légère que Subterranean – et que l’on aime notre Tracy Bryant un peu plus taciturne – tandis que la seconde est initiatique, entre la pop d’ovni et le slowcore d’un télépathe. Tracy Bryant n’a donc rien perdu de sa superbe, il vogue sur les eaux troubles d’une scène californienne qui se caricature souvent, tandis que lui reste sur sa barque. Avec A Place For Nothing And Everything In Its Place, Tracy Bryant devient notre Charon attitré – celui qui fait passer sur sa barque les ombres errantes des défunts à travers le fleuve Achéron. Le début du voyage semble être une bonne nouvelle alors que le tournant de la seconde moitié voit s’envoler nos espoirs de paradis. A place for nothing, qu’il dit.
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