TH da Freak. Si je devais ne garder qu’UNE seule découverte en 2017, ce serait TH da Freak, sans hésitation. Pourquoi ? Parce que le groupe est le seul qui me vienne à l’esprit lorsque je pense aujourd’hui au cool des années ’90. Mais ce n’est pas tout. TH da Freak est aussi plus créatif que le peintre de la Place du Tertre auquel tant de groupes devraient être comparés – il y a de la couleur, un semblant d’élan de quelque chose, mais c’est bien tout, un tableau à accrocher une semaine puis à mettre à la cave. Oubliez ici les étiquettes de “post”-nineties, TH ne pastiche rien, il amplifie. En fait, TH da Freak me donne l’espoir que le mot “cool” – que Vice, Pitchfork, les InRocks & co ont tenté de buter – ne deviennent pas ringard, qu’il signifie toujours ce qu’il doit : une attitude qui n’a rien de plastique, quelque chose qui dépasse. TH da Freak nous offre la perspective nineties avec cette nonchalance qu’il est impossible de feinter, et il le fait avec des mélodies du calibre de Ween. La perspective, oui, mais l’éloquence aussi.
Infandous, qui fait l’objet de cet article, est la troisième sortie de TH da Freak cette année, après The Freak et Garage Punk Songs For Doggos. C’est la plus vaporeuse de toutes, tout aussi concluante, mais avec des aboutissants plus étroits. Cela veut dire que TH est intime, et que nous, on aime qu’il nous regarde avec ses yeux amoureux. Mais ça, je vais en reparler.
“Fuck My Songs And All My Thoughts“, le premier titre, est l’occasion de rendre visite à certaines démos de la décennie nineties, comme si le Beck de 1991 avait trouvé un vieux Tascam dans l’immeuble désaffecté du coin. Quant à “Dreams Are Fake“, c’est un démenti de Twin Peaks (voyez la scène). TH da Freak fait de la Twink-folk, pleine de brumes et de charbons, les idées s’y débrouillent difficilement. Et “Nights, Alone, Streets” de venir renforcer le caractère épeurant de cet album/EP/mini-album ? On se voit marcher la nuit, sur un terrain vague avec des objets mécaniques qui, au loin, forgent le chantier.
“105 Guitars” vient nous dire quelque chose : Infandous est là pour l’expérimentalisme, et nous le faire savoir. Ah, c’est une démarche qui va déplaire. Certains y voient une attitude méprisante, au motif que les groupes de ce genre voudraient se séparer de la plèbe avec quelques accords prétentieux – i.e. inaccessibles au nombre. Mais fuck le nombre. Ce serait bien mal connaître TH que de les dire orgueilleux.
De plus, je crois qu’il faut plutôt y voir la volonté de montrer patte blanche, c’est ce que faisaient les groupes des années 90 – Polvo, Butterglory, Lotion, Blonde Redhead, par exemple – qui n’avaient pas le mensonge au corps et, d’entrée, disaient ce qu’aller être leur album. On a perdu cette tradition, les groupes qui veulent aller plus loin que de la musique de radio aiment à dire qu’ils font un quelque chose pour tous. On l’entend dans leur musique qui se ment à elle-même. TH évite cet écueil et je crois que dans une discographie, mini-album comme Infandous dira beaucoup aux futurs publics.
Lorsqu’arrive donc “Infandous“, on ne peut donc être surpris à nouveau. Et voilà qu’il joue la contradiction – ce n’est pas la première fois – entre la voix féminine et la lourdeur des guitares. Et comme souvent, TH utilise le temps passé, mais ça, je le laisse aux psychologues qui passent par ici.
Boom :
…et boom :
“Tequila“, c’est désormais la Grande Tradition de TH qui nous livre des morceaux au sujet de toutes les substances qu’il courtise. Je n’ai jamais vu ou entendu quelqu’un être si spleenétique au contact de cet alcool. “Questions“, c’est du Peter Laughner / Duster / TH, surtout.
Au stade de “Pack of Smokes“, je me dis que TH a laissé de côté une large partie de son audience, et qu’il y a peut être une volonté de le faire pour mieux que l’on se retrouve. Et une fois que nous sommes ensemble, il introduit pour la première fois quelque chose d’un peu grandiloquent dans sa musique, toujours avec cette même décontraction et sans poursuivre l’idée plus en avant – c’est la démarche de Robert Pollard qui nous balance ses hits de 30 secondes en pleine tête. “I Don’t Wanna Know If You’re Still in Love With Me” est la conclusion logique de ce mini-album – une expression brevetée par Mac DeMarco, vous l’aurez reconnu – qui semble ne plus pouvoir s’énerver ou sublimer quoi que ce soit si ce n’est cette honte à préférer l’ignorance.
Cet article est le dernier de l’année 2017 – avant les classements. Je sors ici de mon rôle de chronique pour m’adresser à vous, et si je le fais, c’est que je veux relever à quel point conclure 2017 sur du TH fait tout le sens du monde – du mien en tout cas, demain, celui de tous ceux qui le méritent.
Et au final, peut-être que la démarche de TH est opposée à celle de Cut Worms – dont j’ai dit par ailleurs mon admiration. Je lui demandais à l’occasion de notre interview s’il avait peur, d’une certaine manière, d’être trop « underground ». Il m’a répondu : “c’est vrai, je ne veux pas être répertorié comme un artiste « underground ». Personne ne souhaite réellement cette étiquette. C’est simplement une façon plus romantique de dire que tu n’as pas de succès. Il n’y a rien de mal à ne pas être populaire, mais le but c’est quand même que les gens écoutent ce que tu fais, non ?“.
Mais qu’il me soit permis de dire, ici, que TH da Freak n’est pas romantique, qu’il est trop abstrus pour faire passer le message de l’AAAhhmour. TH ne semble pas vouloir créer une immense porte d’accès sur sa musique. Elle est suffisamment étroite pour que ceux qui y entrent aient un sentiment d’appartenance à quelque chose de très inclusif. C’est cette sensation que j’ai, avec eux. C’est ce qui fait, à mon sens, qu’il sera bientôt un GRAND. Avec TH, une scène existe à nouveau.
Tracklist : Infandous (LP, Howlin’ Banana Records / Noise Caliphate Records, 2017)
1. Fuck My Songs And All My Thoughts
2. Dreams Are Fake
3. Nights, Alone, Streets
4. 105 Guitars
5. Infandous
6. Tequila
7. Questions
8. Pack of Smokes
9. I Don’t Wanna Know If You’re Still in Love With Me
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