Anachronique : Erectus Monotone (Discordant Pop)

Certains d’entre vous ont remarqué que la récente mixtape Still in Rock, Nineties, Again!, faisait la part belle à plusieurs groupes qui n’ont jamais été chroniquées ici même. Erectus Monotone en fait partie. 
Erectus Monotone est un groupe originaire de Chapel Hill. Est-il le plus grand talent gâché de la scène de l’époque ? Certains le disent. Erectus Monotone, c’est Kevin Collins (guitare et chant), Andy Freeburn (guitare et chant, aussi) et Jennifer Barwick (basse et… chant, parfois). Quant au rôle de batteur, il sera tenu par quatre musiciens différents. Pour la petite histoire, le jour où Dave Brylawski (guitariste de Polvo) a entendu Erectus Monotone pour la première fois, il fut à ce point sous le choc qu’il refusa de repartir en studio : “That was the first we’d ever heard them play with Mike Meadows, and we were blown away, like, ‘Oh my god.’ They came out, and we’re like, ‘No, we’re not playing you the demo“.
Il y a, dans la musique d’Erectus Monotone, un côté très déconstruit qui fait effectivement penser à Slint, Polvo et tous ces groupes de rock indé cathartique. Si le style s’est largement démocratisé, il ne paraissait pas être une évidence dans les années 90s. Mais Erectus Monotone ne joue pas que sur ce terrain. Sa musique, souvent noirâtre et brumeuse, a aussi le côté sensuel de Blonde Redhead ainsi que les mélodies métallurgiques de Sonic Youth. Ça fait beaucoup, me direz-vous, d’autant plus pour un groupe si peu connu. Mais Erectus Monotone ne donne jamais la sensation de fouillis, ses morceaux sont parfaitement faits, bref, voilà bien un indispensable des années 90, malgré son statut d’outsider assumé. 

Comme pour un grand nombre de groupes de l’époque, on semble retrouver une volonté de tuer la pop dans cet album. Surement est-ce le résultat d’un mouvement de balancier qui, pour compenser le trop-plein des années ’80, a voulu produire des albums anti-mélodiques. Comme le dit son label de l’époque, Erectus Monotone voulait jouer une musique “short, sweet, discordant pop with no guitar solos”. Je me demande si la démarche était soutenue par ce dernier ou si, au contraire, il poussait le groupe à se rendre plus “accessible”. Quelle était la mentalité d’alors dans ces labels indé ? Si vous avez un peu de lecture intelligible sur le sujet, je suis preneur (thibault@stillinrock.com). Pour le reste, je suis forcé de constater à quel point Erectus Monotone atteint parfaitement son objectif. Jamais le groupe ne nous offre la moindre éclaircie. 

Close Up est le genre d’album (ou EP ? qu’importe) immortel parce qu’il est à ce point ancré dans son époque que l’on ne peut jamais, 25 ans plus tard, avoir le moindre sentiment de lassitude. Peut-être en irait-il différemment si nous étions en 1995, quelques mois après la sortie de cet album. Peut-être que l’on dirait qu’il ne varie pas suffisamment. Nous aurions bien tort, parce qu’avec le recul, Close Up fourmille d’idées qui pourraient inspirer les groupes de post-nineties à la recherche d’une nouvelle inspiration.

William Goat“, le tout premier, n’est pas le morceau qui prend le plus de risque. Il n’en demeure pas moins très efficace. E.M. est déjà rentre-dedans, nineties plus que de mesure et son penchant pour le rock expérimental se fait ressentir, mais il va vite, pressé de nous montrer. C’est, probablement, ce qu’Erectus Monotone a fait de plus Butterglory-ish. “My First Harmony“, avec son introduction toute contrôlée, est davantage maitrisée. La voix est passée du côté masculin de la force.

I Am In The World“, c’est la raison d’être principale de cet article, il faut toujours qu’un titre suscite l’envie d’écrire. C’est également lui que j’ai mis à l’honneur dans la mixtape à laquelle je faisais référence en introduction (vous pouvez l’écouter ci-dessous). Erectus Monotone fait tout ce que l’on peut attendre de l’excellence 90s. Il est sufisamment rythmé pour donner l’envie à Bernadette Chirac de se mettre au fractionné, il est obscur sans être abscon, il est sensuel sans être dégoulinant.

Puis vient “Gilberto” et c’est Andy Freeburn qui prend son envol. Force est de constater qu’elle écrase l’EP de sa puissance vocale, et lorsque l’on repense à Close Up quelques heures après son écoute, sa voix ressurgit sans plus tarder. Le duo fonctionne plutôt bien avec Kevin Collins, mais elle mérite les feux des projecteurs.

Aerospooky Reprise“, c’est un interlude qui vient renforcer le côté industriel que l’on entend parfois. Il est fantomatique, également. “Gavin & Gunther” prend la suite. C’est une nouvelle démonstration à la Cor-Crane Secret, un genre d’art rock qui va chasser sur les terres de Kim Gordon. Quel haut vol ! L’EP est finalement conclu par “Coffee“. Il n’a jamais semblé si pressant de tremper ses lèvres quelque part. Ah, le rapport à l’addiction. Il y aurait une légère influence straight edge dans ce morceau qu’on ne serait pas étonné. Erectus Montone cogne trop fort pour ne pas s’en revendiquer.


Au final, Close Up magnifie tout ce que l’on aime dans la scène de Chapell Hill sans jamais tomber une seule seconde dans le trop démonstratif de cette époque. Erectus Monotone délivre un EP qui ne souffre d’aucun défaut, pire encore, il est à ce point inventif que l’on se demande pourquoi l’histoire fait si mal les choses ? L’existence d’Erectus Monotone a certes été d’une courte durée, mais 4 années, ce n’est déjà pas si mal. Merge Records était le label phare de la scène en 1990s et, pour ne rien gâcher de notre plaisir, Erectus Monotone avait l’attitude du parfait grunge-boy que les médias à la recherche du cool aimaient tant. Pourquoi n’est-il pas plus connu ? Seul l’aspect déconstruit de sa musique semble pouvoir l’expliquer.
Erectus Monotone fera paraître d’autres EPs et un album. Ils sont tous excellentissimes, mais je crois que Close Up reste sa pièce maitresse. Les diggers ne passeront pas à côté de l’occasion de saisir quelques-unes des copies en circulation. Comme c’est le cas pour bon nombre de groupes nineties, la postérité semble être destinée à un cercle restreint. Nous sommes fiers d’en faire partie.

(mp3) Erectus Monotone – Gilberto (1993)


Tracklist : Close Up (EP, Merge Records, 1993)
1. William Goat
2. My First Harmony
3. I Am In The World
4. Gilberto
5. Aerospooky Reprise
6. Gavin & Gunther
7. Coffee

Liens :
Article sur Polvo
Lien vers tous les articles anachroniques

Post a comment

Your email address will not be published. Required fields are marked *