Je n’ai jamais caché mon scepticisme face à The Babe Rainbow. Le groupe se donne un genre très Woodstock qui semble être monté de toute pièce. Personne ne se balade chez lui avec des lunettes roses sur le nez, et si vous connaissez quelqu’un qui le fait, envoyez-le chez un bon psy sans plus tarder – ou faites-lui écouter du stoner. J’avais donc exprimé ces quelques craintes à l’occasion d’un article daté de décembre 2015 et je m’étais depuis décidé à ne plus en parler.
C’est donc avec un scepticisme à faire trembler Eric Zemmour (pas le coiffeur) et une fermeture d’esprit tout assumée que j’ai écouté le nouvel album du groupe, Double Rainbow. Paru le 13 juillet dernier via Flightless (le label de King Gizzard, je vais y revenir), il se compose de 11 morceaux qui, à la pesée pop psychédélique, sont plutôt… très lourds.
Le fait est qu’il y a de sérieuses ondes King Gizzardiennes là-dedans (je n’ai pas tardé à y revenir, voyez). Dans l’intention lunaire comme dans la production (c’est particulièrement flagrant sur le son de la guitare), on est pas loin de Gumboot Soup et encore moins loin de Sketches Of Brunswick East. Cela crée parfois une drôle de sensation tant on se dit que les Babe Rainbow ne parviennent toujours pas à se trouver un style singulier, mais le fait est que : la production est excellente, les mélodies sont flamboyantes, les aspects jazzy (surtout sur la batterie) sont géniaux, que la voix est parfaitement placée à la façon d’un album de bedroom pop et que, surtout, The Babe Rainbow délivre l’un des meilleurs albums psyché de l’année. Et s’il est très facile d’accès, il n’en demeure pas moins drôlement bien fourni.
“The Magician“, c’est le titre introductif qui surpasse les autres, le grand hit de cet album, sa masterpiece. Un peu comme le fait “The Last Oasis” de King Gizzard, The Babe Rainbow réussit le grand écart entre bedroom pop, jazz et allures psychédéliques. Les trois genres sont très auto-centrés, propices à l’introspection, et pourtant, il est difficile de contenir des accords de pop de chambre dans un ensemble qui tire vers le dépassement de soi.
“Supermoon” est bien plus pop. C’est, déjà, un premier test pour les Babe Rainbow qui auraient pu tomber dans la bouillie sixties, mais n’en font rien. L’album dégage une véritable atmosphère de pleine lune, faisant briller chacun des éléments de sa musique dont la place est parfaitement choisie. Chacune des phases de ces morceaux arrive quand il le faut. Volage c’est faire cela, aussi.
“Gladly“, plus free
“Eureka“, c’est l’introduction des sonorités orientales. Une fois encore, la comparaison avec King Gizzard s’impose tant Flying Microtonal Banana avait défloré le genre qui commençait à souffrir de sa solitude. “Alan Chadwick’s Garden” en rajoute une couche. Après l’accessibilité du dernier, celui-ci vise clairement le titre instru’ qui veut faire un peu d’expérimental pour éliminer les auditeurs qui, à ce stade encore, ne seraient pas surs d’eux.
“Cool Cat Vibe“, plus que les autres, introduit les dissonances qui, sans broncher, font de la bedroom pop des Babe Rainbow un exercice transcendantal. C’est si bien fait ! Cela permet au groupe d’être (néo) psychédelique tout en conservant son flegme initial. Et “Bella Luna” de venir renforcer les intentions martiennes du groupe. On approche de la fin, il faut donc soigner le thème de l’album.
Si “2nd of April” se montre à nous comme un morceau de folk, il insiste davantage sur le côté fantastique que sur l’aspect balade en forêt, à moins que ce ne soit durant une pleine lune de vendredi 13. “Running Back” marquera les esprits. Le rythme n’a jamais été aussi lent de tout l’album, les Babe Rainbow vise l’hypnotisme que les voix – dans un chorus puissant – parviennent à magnifier. Et “New Attitude” de faire ce qu’il fallait : la conclusion intimiste, pour nous dire que tout ira mieux après quelques verres de cette drôle de potion magique.
J’écrivais récemment un article fake news, disant que Stu MacKenzie était un reptilien. Je racontais qu’il avait été envoyé pour conquérir la planète Terre, aidé par ses mélodies et un masque lui donnant l’apparence d’un humain parfois lézardifié. Le caractère potache de cet article ambitionnait de pointer du doigt à quel point Stu savait délivrer des choses surhumaines. King Gizzard transcende toujours sa musique et son auditoire. Ce n’est pas le cas des Babe Rainbow. Peut-être est-ce même une sensation opposée que le groupe parvient à nous procurer. On se sent terriblement bien à l’écoute de Double Rainbow, on flotte au milieu des nôtres, on se fait des câlins et on jouit des lignes de basses autant que des petites envolées du guitariste. Babe Rainbow nous fait nous complaire dans notre condition, parce qu’avec lui, tout paraît plus facile. C’est, en ce sens, une franche réussite de l’album tant le groupe veut s’inscrire dans le mouvement hippie qui a toujours visé ce même objectif. Et c’est ainsi que Babe Rainbow vient de frapper un très grand coup sur l’année 2018.
(mp3) The Babe Rainbow – The Magician
(mp3) The Babe Rainbow – Cool Cat Vibe
Tracklist : Double Rainbow (LP, Fightless, 2018)
1. The Magician
2. Supermoon
3. Gladly
4. Darby and Joan
5. Eureka
6. Alan Chadwick’s Garden
7. Cool Cat Vibe
8. Bella Luna
9. 2nd of April
10. Running Back
11. New Attitude
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