En 2016, Johnny Mafia tuait le game. Son premier album, Michel Michel Michel, faisait tout ce que l’on peut attendre des meilleurs LPs de garage. Il faudra le compter parmi les best of de la décennie dédiés au genre majeur des années 2010s. Alors, comment prendre la suite ? C’est la question qu’ont longtemps dû se poser les membres de Johnny Mafia. Comment faire en sorte d’apporter une suite à ce qui brille ?
Il revient avec une réponse : Princes de l’Amour. Paru aujourd’hui même via Dirty Water Records, l’album va projeter Johnny Mafia dans ses sphères que peu de groupes de garage français ont connues ces dernières années. Johnny Mafia dégage une énergie adolescente qui m’évoque quelques géants : Wavves et Fidlar. La production semble être taillée pour la radio (je vais y revenir, néanmoins…) et les titres sont autant de singles. En cela, Johnny Mafia n’a rien changé de sa recette : il délivre hits sur hits, ce qu’aucun autre groupe français ne sait faire. Period. Lui ne s’embarrasse pas d’interlude, de passages expérimentaux ou de mignoneries pop. Il fonce, et c’est en cela que l’album est plus américain que les albums américains.
Princes de l’Amour, c’est un énorme pick-up. Il écrase et force ceux qui ne sont pas d’accord à se foutre dans le ravin. Il brille, il est démesuré et il pollue à mort, parce que “allez tous vous faire foutre”. Voilà qui il est. Il faut donc être tout aussi cramé que les Johnny Mafia pour en apprécier l’étendue. Une chose est sure, Johnny Mafia ne s’embête pas de ce qu’il ne veut pas, il ne fait rien pour le paraître ou pour la midinette qui, elle, achète des vinyles parce que trainer dans un record shop lui donne une consistance.
Qu’il me soit permis, avant de foncer dans la critique morceau par morceau, d’évoquer la fameuse production. Elle passe beaucoup trop en force. Tellement est-elle charnue que l’instru écrase la voix par volonté (à tout prix) de lourdeur. Cela a deux conséquences : les refrains gagnent en visibilité, mais dans le même temps, la musique de Johnny Mafia est teintée de pop-punk college-rock, pour le meilleur comme pour le pire. Il est ainsi moins percutant, mais plus engageant sur la durée. Peut-être, surtout, que j’y retrouve les sonorités de nombreux groupes de mon adolescence alors que je veux les Johnny Mafia être le fer de lance de la nouvelle scène garage plutôt que le meilleur revival 2000s de ces dernières années. Voilà, mais je vous aime néanmoins.
“Big Brawl” donne le ton. Il est à mi-chemin entre le premier et le second album, une sorte de Michel Michel de l’Amour. C’est, déjà, du Wavves power, direction le pop-punk plein d’accords de surf. Et ça crisse. Sur “ACO” (Automobile Club de l’Ouest ? Action catholique ouvrière ? Assassin’s Creed Origin ?), Johnny Mafia nous prend pas les sentiments, parce qu’il nous dit souffrir, alors on accourt pour lui donner une planche de skate, avec, il ira mieux. Mon algorithme YouTube me propose d’écouter “40oz. On Repeat” (Fidlar) après ce dernier. Il y a du vrai là-dedans.
“Secret Story” – une autre référence à la télé realité – reste sur un terrain pop tout en glissant vers la production de feu et de flamme de cet l’album. Quant à “Crystal Clear“, il est une première illustration de cet instru qui brésille le reste des éléments sonores. Johnny Mafia mène parfaitement sa barque en dépit des paroles qui disent “perdre le contrôle”.
Et puis, je crois que l’on tient avec “Ride” quelque chose de tout à fait énorme. Un monstre. La chimère de 2018. Ce titre peut imposer un mode de vie à lui tout seul. Allez vous faire tatouer les paupières avec des têtes de mort, le cliché n’est plus cliché, rien ne va assez vite ni assez fort en comparaison. Souhaitons que ceux qui managent Johnny Mafia y voient le HIT qu’il est. “Feel Time, Feel Fine” conclut finalement la face A avec tout le cheesy de Johnny. Ça fait Sens, ça ?
Quel autre groupe – au monde – aurait pu délivrer “On The Edge” ? Aucun, none, keine, geen. Et ce, parce que la voix de Théo Courtet est invincible, parce que le reste délivre son garage avec le slacker des meilleurs, mais sans forcer, lui. Le parallèle avec Crazy & the Brains s’impose. Si ce dernier surjoue chaque millimètre de ses vidéos pour jouer au trash (comme on joue au docteur), Johnny Mafia traine en survet’ et ne déménage pas en Californie. Je note tout de même à quel point le timing est curieux. Johnny Mafia sort le meilleur album d’été un… 8 novembre. Bon, ok.
Ce sont sur des morceaux comme “Justify” que l’on trouve, à mon sens, les limites de la production. La voix eut été plus dénudée, la batterie plus sèche, la basse plus présente et la guitare plus solitaire que l’on aurait eu un excellent morceau à faire danser sur le pick-up. Ici, à cause de la qualité des morceaux qui l’entoure, on (je?) peine à adhérer durant toute sa durée.
“Each Side” transpire le surf plus que de mesure, l’introduction me fait penser à ces compilations “surf-a-go-go” qui veulent toutes miner la déferlante Nazaré. Comme c’est désormais son habitude, Johnny Mafia passe en force, il détruit plus qu’il ne séduit. Et quitte à jouer au college rocker sur le campus de l’Université de Californie du Sud, Johnny y va à fond sur “Sun 41“. Il arrive devant le grand bâtiment principal avec son Chevrolet Colorado, des bud à l’arrière et il fait monter les petites pépètes (parce que comment les appeler autrement) en shorties flaqués USC (ceux-là même). A quand la ligne de vêtement Johnny Mafia ?! On la mettra sur “That Shelf“, la dernière explosion.
Tout est (aussi) une question de contexte. Lorsque sortait Michel Michel Michel, je tentais une analyse critique de ce dernier dans un cadre français. Cette fois-ci, j’intègre un cadre de comparaison international, non pas parce que Johnny Mafia y joue désormais, mais parce que sa musique a changé de sphère. Que l’on remette donc chaque chose à sa place, Johnny Mafia est l’un des tout meilleurs groupes français – sans hésitation et il se frotte désormais aux plus grands noms du monde. En s’y frottant, il les inquiète et se hisse à la même hauteur.
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