Chris Cohen: romantisme classique

Il y a peu d’artistes pour qui j’ai plus de respect et d’admiration que Chris Cohen. Je lui fais une confiance aveugle. Pour célébrer mon adoration, j’ai donc décidé d’écrire cette critique en deux temps. Dans le premier, j’ai écrit mon excitation à l’idée d’écouter son nouvel album, Chris Cohen. C’était avant que je ne le fasse pour la première fois. Dans le second, j’ai raconté les sensations qu’elle m’a procuré. C’est binaire. Je n’ai donc pas parlé de l’album lui-même (du moins, pas directement), mais simplement, de son ressenti, comme s’il pouvait être universel.


Premier temps : l’idée de l’écoute

Chris Cohen est un artiste bohème qui incarne à la fois l’idée que je me fais du romantisme et du classicisme. Les artistes romantiques, dit-on, n’écoutent que leur inspiration. Ils ne sont guidés par rien d’autre : ni volonté de révolutionner, ni désir d’ajouter une pierre à l’édifice (si ce n’est le leur), ni même une envie de s’inscrire dans un ensemble qui les dépasse. Ils subissent leur art plus qu’il n’en jouissent. Je les imagine composer leur musique et écrire leurs textes et ouvrages dans des pièces sombres, avec morosité, le mal à l’âme. C’est, dans une certaine mesure, ce que me racontait vivre Chris Cohen, lui qui reste de longues heures auprès de son piano, les stores à peine ouverts.

Les artistes classiques ont une méthodologie, et une ambition. L’art est pour eux un moyen d’expression qui sert à faire avancer la société, ne serait-ce que par la création du beau. Leur travail est ainsi guidé par la volonté de révéler un message, et pour cela, ils avancent plus qu’ils ne tatonnent. On les reconnait facilement : leur regard, à la différence de celui des romantiques, est généralement intangible (voyez la photo qui illustre cet article, Chris Cohen semble être un penseur du début 20ème siècle). Ils semblent voir plus loin que l’on ne voit. C’est ce que je trouve dans la douceur du regard de Chris Cohen. Je ne cesse de me questionner : qu’a-t-il compris que je n’ai pas encore compris ? Puis-je le comprendre un jour ?

J’attends donc beaucoup de l’écoute de cet album, mais je sais de toute façon ne pas pouvoir être déçu par Chris Cohen. Je disais en décembre dernier (ici) scruter toutes ses sorties avec l’engouement d’un horloger devant le plus beau des mécanismes. Je sais en effet que son romantisme me touchera, qu’il me mettra à fleur de peau. Son classicisme assurera dans le même temps une perspective qui m’indiquera quelques nouvelles routes. Ce fut déjà le cas sur Overgrown Path (2012) et As If Apart (2016).

Second temps : après l’écoute

Chris Cohen a ouvert l’album sur ces paroles : “and the sun goes down“. Je l’ai imaginé dans son salon. Silence. Un ventilateur agitait les plantes grasses nonchalamment posées sur le rebord de la fenêtre. Il y avait de la poussière sur l’une d’entre elles, ou peut-être deux. Chris Cohen ne bougeait pas, et puis, je me suis vu à sa place. Telle fut l’introduction. Son album a alors oscillé entre majestuosité et simplicité. Il m’a suffit à lui tout seul. Je n’ai eu envie de rien d’autre si ce n’est de l’écouter plus que je n’écoute habituellement. J’ai aussi voulu le réécouter alors que je ne l’avais pas encore entièrement exploré, pressé de le posséder, ne serait-ce qu’un peu.

Dans sa voix, j’ai retrouvé le spleen de Los Angeles. Oh, il ne s’agit pas du spleen que décrit Bret Easton Ellis dans son Moins que Zéro, mais plutôt, du spleen d’un homme qui est heureux lorsqu’il est avec lui-même et qui se questionne ainsi sur la normalité de la situation. Après tout, ne sommes-nous pas censés être des êtres de compagnie ?

La richesse des instruments m’a parfois rappelé mes années de conservatoire. Et puis, Chris Cohen m’a conduit une fois encore dans ce salon dont le décor a longtemps changé : tantôt asiatique, tantôt orientale, il a aussi été minimaliste, pastel ou glissant. J’ai voulu verser une larme devant la tendresse de “Twice in a Lifetime“. Je crois que c’est la guitare qui m’a saisie. Chris Cohen a rarement monté sa voix dans les aigus, non pas qu’il ait était morose, mais je l’ai senti… consolé de quelque chose. Il s’est donc permis du free jazz à plusieurs reprises ; je ne les ai pas comptés. Chris Cohen m’a débarrassé du monde extérieur comme il l’avait déjà fait sur ses deux albums précédents. Certains le subliment ; lui l’efface.

Je n’ai donc pas trouvé de réponse à ma question. Je ne sais toujours pas ce qu’est la chose qui anime Chris Cohen. Il y a une présence évidente dans sa musique, mais je n’arrive pas à la capter pleinement et c’est pour cela que j’en reviens toujours à son écoute. Chris Cohen (l’album) ne dérogera pas à la règle. Peut-être est-ce finalement LA POÉSIE. Plus j’écoute ses albums et plus je les trouve beaux. Il n’y a pas de fin à cela.

(mp3) Chris Cohen – Edit Out


TracklistChris Cohen (LP, Captured Tracks, 2019)
1. Song They Play
2. Edit Out
3. Green Eyes
4. Sweet William
5. House Carpenter
6. Twice in a Lifetime
7. What Can I Do
8. The Link
9. Heavy Weather Sailing
10. No Time To Say Goodbye

Liens:
Article sur son album As If Apart
Interview Still in Rock avec Chris Cohen


***
ENGLISH VERSION
(french above)
There are few artists for whom I have more respect and admiration than Chris Cohen. In fact, I trust him blindly and to celebrate my worship, I have decided to write this review in two parts. Firdt, I wrote down my excitement at the idea of listening to his new album. I then tried to explain all sensations it gave me.

First step: before listening

Chris Cohen is a bohemian artist who embodies both my idea of romanticism and classicism. Romantic artists, it is said, only listen to their inspiration. They are not guided by anything else: neither a will to revolutionize, nor a desire to add something to their art form, nor even a desire to be part of a whole that exceeds them. They undergo their art more than they enjoy it. I imagine them composing their music and writing their texts and books in dark rooms, with gloom and pain in the soul. To a certain extent, this is what Chris Cohen told me experiencing. He sometimes stays by his piano for long hours, with the blinds barely open.


Classical artists have methodology and ambition. For them, art is a means of expression that serves to advance society, if only by creating beauty. Their work is guided by the desire to deliver messages, and to do so, they move forward more than they grope. They are easily recognizable: their gaze, unlike that of the romantics, is generally immovable (see the photo illustrating this article, Chris Cohen seems to be a thinker of the early 20th century). They seem to see further than we do. That’s what I find in Chris Cohen’s gentle look and I keep wondering: what did he understand that I haven’t yet understood? Can I ever understand it?


So I expect a lot from listening to this album, but I know I won’t be disappointed by Chris Cohen. Last December (here), I confessed to waiting for his albums with the enthusiasm of a watchmaker in front of the most beautiful mechanism. I know that his romanticism will touch me, that it will bring me to the surface. At the same time, his classicism will provide me with a new perspective. I know Chris Cohen will show me new roads. This happened already with Overgrown Path (2012) and As If Apart (2016).

Second time: after listening

Chris Cohen opened his album with these lyrics: “and the sun goes down“. I imagined him in his living room. Silence. A fan was agitating the succulent plants nonchalantly placed on the window sill. There was dust on one of them, or maybe two. Chris Cohen wasn’t moving, and then I saw myself in his place.


His album then have oscillated between majesty and simplicity. I was simply eager to own it , even if only a little. In his voice, I found the great Los Angeles spleen, not the spleen that Bret Easton Ellis describes in his Less Than Zero, but rather, the spleen of a man who feels happy when he’s with himself and questions the normality of the situation. After all, aren’t we supposed to be company beings?


The richness of the instruments has sometimes reminded me of my years at the conservatory. And then Chris Cohen took me back to his salon whose décor had changed many times: sometimes Asian, sometimes Oriental, it has also been minimalist or pastel. I wanted to shed a tear in front of the tenderness of “Twice in a Lifetime“. I think it was the guitar that grabbed me. Chris Cohen rarely raised his voice high up, not that he was gloomy, but I felt him comforted by something. He took the liberty of free jazz several times; I didn’t count them. Chris Cohen rid me of the outside world as he had already done on his two previous albums. Some sublimate that world, Chris erases it, making it a distant memory.

In the end, I didn’t find an answer to my question. I still don’t know what is driving Chris Cohen. There is an obvious presence in his music, but I can’t fully grasp it and that’s why I always come back to listening to him. Perhaps it is POETRY. The more I listen to his albums, the more beautiful I will find them. There is no end to this.


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