Le groupe doit être une dictature




Le groupe doit être une dictature
(mais sans les morts, hein)
Dans un documentaire intitulé « What is A Group », Ian Svenonius y défend l’idée d’une entité communiste qui ne peut réussir que dans le partage, que dis-je, l’atomisation. Pour cette raison, Ian habille toujours ses musiciens de la même façon (voir la vidéo ci-dessous), l’uniformité doit transparaitre dans chacun des mouvements du groupe, et peu importe si celle-ci n’est finalement que de façade.
C’est tout l’inverse. Je n’ai personnellement jamais été impliqué dans un groupe. Je n’ai aucune expérience pratique de la chose, ni même aucune étude pour étayer mes propos, pas le moindre commencement de quelque chose de solide. Et pourtant, fort de ma petite poignée d’articles Still in Rock qui me berce dans une réalité qui n’existe que sur ces pages, je reste convaincu du fait que le groupe ne peut réussir qu’au moyen d’une gouvernance dictatoriale.
Un groupe qui adopte un fonctionnement démocratique, c’est une entité écartelée par les envies de chacun. Le sens du compromis est la pire chose à laquelle un artiste puisse et doive se soumettre. Il aplanit toute singularité, toute excentricité. Il force le chanteur à ne pas assumer son boulard, il pousse le batteur à vouloir cogner plus fort qu’il ne le faut pour qu’un jour, une fois, un projecteur illumine sa gueule. Il force le bassiste à hocher la tête autant de fois qu’il y a de secondes dans une minute. Chacun veut, dans ce brouhaha normalisé, s’extirper de l’identité collective.
Le bon côté que je trouve à ces guerres fraternelles, c’est le trop-plein auquel quelques formations ne peuvent résister. Certains groupes font émerger un son noisy et nerveux, lorsqu’ils ne tombent pas dans la mignonerie que je dénonçais dans un article dédié (lien). Prenons trois exemples : The Stooges, Makeout Videotape et TH da Freak. Le premier, c’est l’histoire d’un groupe qui veut exister malgré le charisme imparable de son leader. En ressort une poignée d’albums qui ont délogé les Ramones au sommet du rock-o-mètre.
Le second, c’est le groupe de Mac DeMarco et d’Alex Calder qui, lorsqu’ils étaient encore ensemble, nous en foutait plein les mirettes avec un rock trash et lo-fi. Ils ont depuis embrassé une carrière solo et pop, loin du rock’n’roll qui était le leur. Et pour cause, ils n’ont plus besoin d’écraser le (père) compère, il n’y a plus l’urgence à buter les autres membres du groupe, à bomber le torse. Le troisième, c’est l’histoire du meilleur groupe français. Depuis quelques années, TH écrase les groupes francophones comme l’inspecteur Columbo écrase ses mégots de cigarette. Il fait dans le nineties fun-ironico-trash, une formule à laquelle il ajoute des mélodies bubblegum et une grosse dose de non-sens.
Son nouvel EP, Holas Todos, est paru ce vendredi 31 janvier 2020 via Howlin Banana Records. Il est annoncé comme la dernière sortie avant une petite pause pour enregistrer un nouvel album. Dans les mois qui viennent, le groupe devra ainsi jongler entre les égos de chacun, mais au final, Thoineau posera son visage sur la pochette, et ce sera mérité. Le jour où TH prendra fin, il sera intéressant d’étudier dans quelle mesure sa musique deviendra plus pop, plus accueillante, bref, une expérience érotique plutôt que pornographico-grungy.


Pour l’heure, je me délecte de ces quatre nouveaux morceaux qui sont un véritable sprint vers l’ironie 3.0, celle des années 2020s dont TH est le premier annonciateur. “Bumfuzzle” suffit à s’en convaincre, il paraîtrait que même la Reine d’Angleterre dise oui.
Ça, c’est pour le côté positif que la guerre de fratries cause au sein de l’entité groupe. Ce dernier doit toutefois résister à s’écouter. La formule ne fonctionne en effet que lorsque chaque membre veut tirer la couverture de son côté et refuse d’écouter les conseils des autres connards qui veulent, eux aussi, être l’obsession des groupies. Le groupe qui compromet est mort-né, c’est un communisme soviétique qui finit toujours comme Lénine a fini : en pourriture. Il doit ainsi être composé d’un dictateur qui pulvérise les autres membres, ou alors, d’un ensemble de dictateurs prêts à ruiner la cohésion d’ensemble. 
Pour cette raison, le projet solo a cela de bien qui ne risque pas l’aplanissement de la création. L’artiste peut partir, tout seul, dans une direction honteuse sans que personne ne l’en empêche. C’est génial. Certes, il n’a plus à se soumettre à aucune urgence, mais il peut alors divaguer, se perdre là où le collectif n’ira pas. Entre groupe dictatorial et aventure solo complètement pétée, mon cœur balance. Une chose est sure, l’heure est à n’écouter personne d’autre que soi-même.


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