Le paradoxe redneck
Mon compteur ne faillit jamais : lorsque je lui pose une question, il répond. Je lui demande combien de fois j’ai décrit un groupe de rednecks au cours de ces trois dernières années, il me répond dix-neuf fois. C’est beaucoup, et surement trop peu à la fois. C’est beaucoup parce que je doute que les groupes ainsi décrits ont un jour apprécié avoir cette étiquette collée au cul. Mais après tout, fuck them. C’est trop peu parce que le redneck produit souvent un punk en tout point excellent. Je vais y revenir.
Si l’on s’en tient au Urban Dictionnary, “you would be a redneck if (…) your wife weighs more then your refrigerator (…) you go Christmas shopping for your mom, sister, and girlfriend, and you only need to buy one gift (…) you can spit without opening your mouth (…) there are more than ten lawsuits currently pending against your dog (…) you’ve ever shot somebody over a mall parking space (…) more than one living relative is named after a Southern Civil War general (…) there is a stuffed possum anywhere in your house (…)”. Qui ne voudrait pas répondre à cette belle description ? À vrai dire, probablement personne. Seuls quelques rednecks de l’Arkansas voudraient bien admettre qu’ils souhaitent une nouvelle guerre civile contre les “putains de yankees”, mais pour le reste, être un redneck est quelque chose qui ne se revendique pas. On trouve pourtant des redneck dans de nombreux Etats américains, notamment, dans le Mississippi, Wyoming, Oklahoma, Georgia, Tennessee, Alabama et Missouri. Les rednecks peuplent également une large partie de l’Australie. La légende dit que l’on en trouverait en Europe, mais ça, c’est une légende seulement.
Une partie de la scène garage / slacker punk joue à mimer le véritable redneck de l’Arkansas, il lui vole ses codes et en fait quelque chose de cool. Cette scène est surtout australienne. Ses membres n’ont pas de revendications politiques ou societales (oubliez les pro-gun, les pro-life et autres pro-bullshits). C’est ici qu’un paradoxe apparait.
Le stéréotype est un mec de 30 ans, lunettes mouche posées sur le front, des chaussettes blanches de la marque Nike qui sortent de chaussures ringardes, un t-shirt laissant place à un horrible montage combinant un aigle, des flammes, un pick-up et une meuf à poil. Il est ironique et, en ce sens, largement influencé par les années 1990s. S’il fait des montages vidéos, c’est toujours au VHS. S’il traine dans des bars, c’est toujours dans des dive. S’il tourne des pages, ce sont celles d’un magazine de camion, et, parfois, de Bukowski. S’il va chez le coiffeur, c’est pour faire tailler son mulet. S’il bouffe un burger, c’est dans un steakhouse. S’il regarde la télé, c’est une émission sur les chasseurs d’aligators. Lorsque je décris un groupe de redneck, c’est ce type-là que j’ai en tête, pas celui de l’Urban Dictionnary. Je l’aime bien, ce faux redneck. Il est même essentiel à la scène des années 20s.
Et pour cause, le rock est devenu trop sobre. Non pas que les groupes ne boivent plus ou ne se droguent plus, mais ils sont sobres quand même : gentils, de bons types quoi. Les rednecks, à l’inverse, sont des cons, le genre de cons à renverser le cul d’une poule. Ils tirent la gueule parce qu’ils détestent les humains et être éloignés trop longtemps de leurs semblables, ils tirent la gueule, aussi, parce qu’ils ne sont pas d’accord avec le monde qui les entoure. Ils crient, ils puent et ils produisent du punk de qualité. Les meilleurs groupes redneck de ces dernières années sont ainsi Amyl and the Sniffers, Pist Idiots, The Chats, les Platinum Boys, Tony Dork, Drunk Mums, Bikes, BBQ Pope, Natural Child… Ils ont ainsi eu une mixtape dédiée sur Still in Rock. Si je suis persuadé que passer une soirée avec eux serait une expérience détestable, je crois que leurs sales caractères ne font que renforcer la puissance du garage punk qu’ils délivrent.
Ils ont d’ailleurs le public qu’ils méritent : des frustrés. Il y a les frustrés redneck, ce sont ceux qui ont les mêmes inquiétudes que le groupe sur scène. Il y a les frustrés de la société civile, ce sont ceux qui aient un boulot bien propret, mais qui au fond, veulent tirer sur des poules avec un fusil de chasse. Et puis, il y a les frustrés de la scène, ceux qui se sont perdu dans le politiquement correct, le BS sans fond, le miel, le trop-plein de bons sentiments, et qui viennent exulter leur littérature classique : l’enfer, c’est les autres.
Au fond, le groupe redneck emmerde fondamentalement son public, mais il emmerde davantage encore les autres groupes qui l’ont précédé en ouverture de la soirée. Il emmerde le groupe de garage pop qui, avec sa chemise boutonnée jusqu’au cou, n’en finit pas de chanter des refrains pour midinettes prépubères. Il emmerde aussi le groupe psychédélique qui veut montrer à la terre entière qu’il prend des champis sans pour autant parvenir à décoller des accords de merde qu’il a appris sur un tutoriel de garageband. Il emmerde le punk politique, le slacker qui ne pense qu’à la bière et le type qui fait du rock expérimental. Lui, il veut jouer dans une étable, il veut que la fumée qui arrive sur scène soit celle d’un gros bbq. Je vous l’ai dit, c’est un con.
Ainsi, le redneck qui fait dans la musique punk est plutôt désagréable – il tire ça du véritable redneck – mais nécessaire, parfois jouissif. Lorsque je décris un groupe de redneck, c’est une façon pour moi de leur adresser un compliment : sa musique est sale, souvent primaire et brutale, sa gueule ne me revient pas vraiment, son attitude non plus, et le tout fait que je l’aime plus qu’il n’aime regarder un mouton monter une chèvre. C’est probablalement un paradoxe, mais je prie le Dieu de la pluie pour qu’il continu d’exister longtemps, en dépit du PC et du culte de l’image qui va bouffer les années à venir. Je me délecte d’avance de ses débordements, de ses faux pas, de son anti-conformisme qui ne vient pas faire un appel du cul à des labels pour gens chics. Le groupe redneck n’aime pas qu’on l’appelle comme ça, et je continuerai à le faire, ne serait-ce que pour le faire chier et qu’il continue encore un peu de chanter ses morceaux trop gras pour le commun des mortels.
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Playlist redneck 2020:
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