Cet album, c’est Washington, comme l’est d’ailleurs le reste de sa discographie. Certaines villes ont un son. C’est le cas de Los Angeles où l’on entend les palmiers et skateparks dans les accords de chaque groupe. La musique qui émane de cette ville est ensoleillée, fidèle aux clichés que l’on attend d’elle. Melbourne a aussi un son. Cette fois-ci, c’est le côté trash qui révèle l’appartenance à The Garden State. La musique qui en sort doit être fun, instantanée, slacker. New York avait également une forte identité sonore il y a quelques années de cela, mais elle tend à disparaître. La ville suit ainsi la même trajectoire que Seattle, connu pour son grunge nineties qui a aujourd’hui laissé place à une grande désolation.
Washington D.C. fait partie de ses villes dont le simple nom évoque une sonorité, un timbre politico-anarchiste, et ce depuis les années 1990s. Ian MacKaye est à lui seul responsable de la chose. Depuis les premiers morceaux de Minor Threat jusqu’aux Fugazi, il a donné une tonalité très engagée à la ville de D.C. Il a toujours joué ses concerts proches de le Maison-Blanche, et du drôle de monde qui l’entoure. Ian MacKaye et le Président des Etats-Unis (qu’il soit Républicain ou Démocrate) sont deux opposés qui se complètent et se nourrissent l’un de l’autre. Seulement, l’engagement MacKaye n’a jamais été politique au sense de politike (la politique politicienne, comme qu’on dit par ici). Lui, il a fait l’apologie d’un mode de vie (l’anti-violence), sans tomber pour autant dans le religieux ou de délire extrémiste américain.
Cette idéologie, il l’a mise en musique avec un “war punk” toujours incisif. Ça, c’est sa volonté de jouer sur les contradictions… et d’envoyer un message fort. Ce style de punk très nerveux a fait l’identité de Washington D.C., ce que j’essayais de retranscrire dans une playlist dédiée (lien). Certes, il emprunte à la scène hardcore de Californie, celle de Black Flag et consorts, mais Ian y a collé une identité si forte qu’il a réussi à faire émerger le mouvement harDCore. Il y a initié le straight edge, contre-culture punk prônant l’abstinence d’alcool et de drogue. Il a toujours insisté pour que les entrées à ses concerts soient à prix réduit, refusant ainsi de jouer plusieurs grands festivals américains.
Son message, il l’a mis en action. Plutôt que de lancer de grands slogans, il a fait quelque chose, lui. Cela nous éloigne de ces hordes de groupes politicisés qui composent des titres engagés et continuent de faire tourner un système qu’ils dénoncent. Bien entendu, Ian s’est parfois immiscé dans le monde politique, mais c’est finalement sa capacité d’action qui a donné de la valeur à ces excursions. Je pense au concert organisé devant la Maison-Blanche contre la guerre du Golf, faisant le lien entre deux univers dont les valeurs ne se recoupent que trop peu.
J’attendais donc le premier album de Coriky avec excitation. Je savais que j’y trouverais cette atmosphère très Washington D.C., une réponse au pouvoir rampant des institutions américains, et que dans le même temps, Ian ne mentionnerait pas Trump à chaque couplet comme peut le faire un rappeur US en manque d’inspiration. Non, Ian présenterait la chose différemment, toujours avec la noirceur d’une ligne de basse venant traduire les journées orageuses qui s’abattent au-dessus du Capitole.
Le premier titre de cet album, “Clean Kill“, est de très loin ma plus grande obsession de l’année. C’est ça, le son Washington D.C., l’urgence de la Capitale, la hargne qu’elle provoque, la volonté de combat, de confrontations physiques. Cette physicalité se retrouve tout au long de l’album. “Hard to Explain” est bâti comme le premier cité, en deux temps, un temps pour Ian, un deuxième pour que les instruments cognent. “We speak in circles”, qu’il dit.
L’introduction de “Have a Cup of Tea” me rappelle les morceaux de End Hits. “Report came in, so much damage”. La voix de Ian MacKaye n’est jamais aussi virulente que lorsqu’il parle de la Constitution, et une fois n’est pas coutume, l’instru vient prendre le relais, seule face aux grands boulevards de la capitale. “Inauguration Day” fait un peu plus le pas vers le monde politique, mais je veux conclure cet article sur “Shedileebop“.
Je veux relever à quel point la production de cet album le met en valeur, à quel point sa voix m’avait manqué, à quel point le duo est brillant, à quel point cet album est tout ce dont nous avons besoin à ces temps polarisés. Il dégage une puissance inégalée en 2020. Il met au goût du jour la vision MacKaye, celle d’une politique qui se traduit dans un style de vie. Dans une époque où les activistes prennent d’assaut les réseaux sociaux pour obtenir plus de likes à chaque nouveau désastre, je me réjouis que MacKaye vienne rappeler le pouvoir d’un album bien fait. Ian, c’est Washington.
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