Kurt Vile: hipster country man


Hipster country man
Entre conservatisme et hipsterisme

J’ai pour habitude d’écouter plusieurs fois chaque album avant de les chroniquer, c’est un minimum avant que j’exprime un quelconque avis sur un travail qui a souvent pris des centaines d’heures. Je consacre généralement une bonne dizaine d’écoutes à ceux de Kurt Vile avant d’avancer le moindre mot. Je me souviens avoir eu du mal à écrire ma critique de Wakin On A Pretty Daze. Celle de B’lieve I’m Goin Down m’était venue plus facilement. Mais cette fois-ci, je ferai différemment : j’écrirai ma critique au cours de la première écoute, pour essayer qu’elle soit spontanée. Et tant pis pour la réflexion. Mais qu’il me soit tout de même permis de questioner le succès de Kurt Vile. Non pas que je ne le pense pas mérité (je l’ai de trop nombreuses fois encensé), mais je me demandais récemment ce qui le place au-dessus d’une très large partie de la scène. Je crois qu’il faut trouver quelques éléments de réponse dans sa musique ainsi que dans sa personne, deux essences que l’on ne peut dissocier.

La musique de Kurt Vile a toujours eu des accents sudistes, ce qui ne l’a jamais empêché par ailleurs d’être singulière et novatrice. Dans le même temps, Kurt Vile a l’allure des hipsters originaux, ceux de Philly qui vendentt des vinyles dans leur garage, à côté du lit. Je les ai rencontrés, ils existent toujours. Kurt est l’un d’entre eux. Alors, en combinant le classicisme de sa musique avec son allure/intention très 2010s, Kurt Vile fait la synthèse de deux mondes, permettant ainsi un véritable rapprochement générationnel. Kurt Vile n’est pas un arbitre, il ne tire pas d’un côté ou de l’autre comme le font *tous* les autres artistes. 

Les trois premiers morceaux, “Bottle It In Loading Zones“, “Hysteria” et “Yeah Bones” sont très fidèles au Kurt Vile de Wakin On A Pretty Daze, si ce n’est pour le final du troisième cité qui entreprend une véritable construction mécanique phase psychédélique proche de son avant-dernier. Vient ensuite “Bassackwards” que je raccroche à ce que je decrivais à l’occasion de ma critique des Valderamas. Les titres d’un protagoniste qui exprime quelques difficultés me touchent, c’est ainsi. Alors, lorsque Kurt Vile décrit ses échecs et ses désillusions, j’accours nécessairement. Sa voix a rarement été aussi claire. Ceux qui s’autorisent l’expression de leurs faiblesses doivent avoir quelque chose de plus. Kurt Vile boucle la boucle en disant aller backwards (en arrière), ce que la musique fait par ailleurs en contorsionnant quelques sonorités qu’il joue de Z à A. Quelle leçon !

One Trick Ponies” et “Rollin With The Flow” repartent en direction du Sud. Le dernier est probablement le titre le plus sudiste de Kurt Vile, une véritable apogée du conservatisme : Kurt Vile y parle du bon vieux rock’n’roll, il dit être têtu et tracer sa route tel un cowboy sur son cheval. Le bottleneck ne fait jamais que renforcer cette sensation dad rock, et que dire du refrain une gamme plus haut qu’il délivre vers la fin. C’est, à l’évidence, un plaisir que Kurt Vile voulait se faire depuis longtemps, en hommage à Stevie Ray, à Clapton, à Buck Owens, à Chris Darrow, à Tony Joe White et toute la bande. Et puis, que dire de “Check Baby” sinon qu’avec une guitare a qui délaissé toute rondeur au profit d’un son râpeux, il parfait cet album au point de l’élever au rang de masterpiece. Le son de la batterie est particulièrement convaincant, sec, brut et aussi violent soit-il.

Parce que j’écris cet article au cours de ma première écoute (comme je vous le disais), laissez-moi donc me réjouir de “Bottle It In“. Avec ses arpèges de guitare acoustique et un background sonore vombrissant, Kurt Vile continu d’affirmer le rapprochement du sud et nord, du conservatisme et des rues de New York. Et puis, sur “Mutinies“, on retrouve le Kurt Vile qui nous susurre quelques mots bleus. Les arrangements sont planants, presque fantomatiques, et toujours cette dualité qui vient s’exprimer. 

Come Again” crée une coupure, je ne crois pas que ce titre ait sa place ici même, alors je continue vers “Cold Was The Wind“. On associe plus volontiers la musique de Kurt Vile à une sensation de chaleur, mais la froideur de ces quelques accords a de quoi nous réconcilier avec novembre. Et puis, vient “Skinny Mini“, le petit denier, plus de 10 minutes entre introspection et grandes envolées. La guitare fait tout, la voix de Kurt est complètement effacée, le spleen, seul le spleen est là ! 

Au final, cet album de Kurt Vile ne prendra personne par surprise. Il lui permettra de continuer à asseoir son emprise sur le reste des artistes de la nébuleuse folk / alt rock / indie rock. Cela fait un moment déjà que Kurt Vile est au sommet du genre et qu’il faut ainsi le compter comme compagnon de route à Neil Young & co. 

Dans un monde – et, surtout, une société américaine – où les college girls aux cheveux roses n’ont jamais écouté de country tandis que les redneck vomissent sur le progressisme, je suis curieux de savoir comment cet album de Kurt Vile sera reçu. Vous le savez, je n’ai pas pour habitude de conférer une portée politique à mes articles, mais sans prendre parti, je crois que Bottle It In peut avoir une véritable résonnance. Le dialogue est mort, voyez comme ils s’insultent sur les réseaux, voyez comment ils dénigrent, comme ils se croient supérieurs aux autres. Une nouvelle voix/voie de la sagesse s’ouvre à nous. Kurt Vile crée une ouverture. Et je compte sur les doigts de ma main les artistes qui créent des ouvertures.


TracklistBottle It In (LP, Matador, 2018)
1. Loading Zones

2. Hysteria
3. Yeah Bones
4. Bassackwards
5. One Trick Ponies
6. Rollin With The Flow
7. Check Baby
8. Bottle It In
9. Mutinies
10. Come Again
11. Cold Was The Wind
12. Skinny Mini
13. (Bottle Back)

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