Bad Pelicans. Le nom est familier de tous ceux qui trainent sur la scène parisienne. Les visages – et le dégaines – le sont aussi. Nous attendions tous le premier album de ce groupe avec impatience, parce que c’est toujours celui qui donne le ton, et qu’en l’espèce, il n’était pas sans enjeux. Best of – c’est son petit nom à lui – a vu le jour le 2 mars dernier via l’excellent Stolen Body Records. Il joue sur deux univers. À ma gauche, nous avons Cape Fear, un film sorti en 1991 qui relate l’histoire d’un psycho qui, dans une région semi-tropicale, s’amuse à terroriser les midinettes du quartier. L’action prend place à Florida City, sous les palmiers, la sueur et les marcels mal ajustés. Les Américains le décrivent comme étant un psychological thriller, je penche plutôt pour un slasher jubilatoire – la terminologie, c’est important. À ma droite, nous avons Fast Times at Ridgemont High, weed-épopée parue en 1982 dans laquelle Sean Penn définit le slacker moderne, vraiment slacker. La musique des Bad Pels est quelque part entre ces deux univers. Elle est gore, fun et exagérée.
Le fait est que tous les morceaux de cet album ont un truc pour eux, on serait dans un club libertin que l’on serait séduit à chaque recoin de jacuzzi. On y retrouve le même spirit que celui de Wavves, skaters punk qui en veut à nos genoux. Ainsi qu’à nos cardio’. Les Bad Pelicans sont réputés pour leur live, mais je confesse ici les préférer en album : d’avantage canalisés, il y a moins d’attitude et cela sert invariablement leur punk. Le rock crève pourtant d’en manquer… d’attitude ! On a besoin de personnages, mais aussi, que ces personnages soient parfois en dehors du character. On veut des têtes brulées que l’on puisse aimer de temps à autre. Si je vénère l’ironisme des 90s, il me semble que les 2010s sont à quelque chose de moins caustique, c’est que Best Of fait parfaitement. La balance est ici parfaitement équilibrée, donnant dans un post-nineties qui va réjouir les foules de Navarre (la ville est-elle peuplée ? je le veux).
Depuis leurs débuts, les Bad Pels font dans le pizza-surf-punk qui ne cesse de gagner en vitesse. Qu’est-ce ? Des types qui sont plus inquiets de ne pas faire tomber un seul pepperoni de leur pizza plutôt que de surfer la prochaine vague. Et sans conteste, Best Of magnifie tous les pepperonis qu’il rencontre, il est crousti-choc et toujours délicieux. Les Bad Pels, Présidents de l’Association pour La Défense du Pepperoni Apeuré, sont les fervents défenseurs du punk dégoulinant.
L’album est très bien produit – surtout la partie vocale, peut-être aurait-on voulu que la batterie cogne plus, parfois – et nous donne l’envie d’aller trasher quelques palmiers du côté de Palm Beach. “Svrf Pvnk” le montre d’entrée de jeu. Il est un brin vulgos, pile comme on l’aime : ici, on fait la fête en bikini et les bro’ sont trop musclés. Les Bad Pelicans sont déjà énervés, mais énervés-gentils, je vais y revenir.
“Svmmertime” est une nouvelle ode punk – du huh-punk, écoutez – à la biafine et aux shorts trop courts. A force d’insister sur leur volonté de nous trainer de force à Miami, on se dit que les Bad Pelicans nous veulent trop de bien pour ne pas être renommés les Good Pelicans. That’s right. Le scud‘ que nous envoie ce titre est immense, pour la première fois depuis longtemps, une production sert vraiment les intérêts du morceau. Et les Bad Pels nous font frémir à l’idée de tous ces titres restants. Un tel niveau de fun-gore a de quoi faire danser le dépouille de Lux Interior.
“Svrf Svrf” est sans trop de surprise, un titre de surf qui est ainsi parfaitement dynamité. C’est une constante, chez eux : ils prennent les codes d’un genre – le surf, le slacker, le psychobilly, le war punk… – et ils forcent tous les traits de sorte à produire une certaine cohérence d’ensemble autour du trop-plein-très-punk. “Svfr” veut calmer le jeu à l’approche de la mi-temps. On comprend bien l’intérêt de le faire intervenir ici, mais je crois que les Bad Pels arrivent à faire quelque chose de fort qui les en dispose en réalité : son punk, malgré sa démesure constante, ne cause jamais un trop-plein. On arrive donc à la moitié de l’album sans aucune sensation de lassitude.
Sur “Covch Pizza“, on pense logiquement à l’Idiot de Wavves. Sans prétention de révolutionner la littérature moderne, les Bad Pelicans font exactement ce que l’on peut attendre des meilleurs groupes du punk : accrocher quelques phrases dans notre esprit, martelées avec justesse. Ce couch pizza ressort clairement du lot, well done. Quant à “BvddyBvdz“, il rappelle évidemment le Nathan Williams de ses meilleures heures. Mais loin de moi l’idée de parler de postiches, la Bed Pelicans ont trop le goût des perruques pour se contenter d’un punk à l’eau tiède qui mime les gestes d’un autre artiste. Ces types-là veulent aller loin, ce sont les requins du garage français, les Loups de Wall Street l’Espace B. La rumeur dit que s’ils jouent du surf, c’est pour cacher le fait qu’ils soient en réalité des reptiliens à l’apparence de prédateurs marins.
“Svrf Yovr Coffin“, c’est à mon sens le titre le plus réussi de cet album, du Bad Pels à 1000%, ça gronde et on ne peut le rapprocher d’aucune autre formation, ils décoiffent Tchather dans sa tombe et nous donnent à Chichi 1er une raison de se lever pour aller se taper des rails de cocotiers. Et puis, avec “Pavline McShit” vient el grande finale – avec un splendide solo de guitare acoustique. Il fait exactement ce que l’on attend d’une conclusion. Eut-il été plus punk de le placer en introduction ?!
A la différence de Wavves qui fait parfois dans un quasi-pop-punk 90s, les Bed Pelicans enchainent les titres avec l’assurance de La Villardière en territoire de prostitution. Ils sont assurément plus surfers que skaters. On les veut ainsi, créateurs d’une no-go zone pour qui se soucie d’une pop sophistiquée.
Dans le monde des Bad Pels, être triste n’existe pas. Vous me voyez ainsi venir : les Bad Pels sont eux aussi les disciples d’Hermann Hesse pour qui le rire doit tout transcender. C’est le statement du punk et du rock’n’roll, il ne peut et ne doit pas être réinventé. Les Bad Pels lui font honneur ce pourquoi ils doivent être félicités, n’est pas disciple qui veut. Dans une société où tout le monde doit vénérer (“Everybody worships. The only choice we get is what to worship“, David Foster Wallace), autant se pencher du côté le plus fun de la force. Et quitte à être dans le name droping, comment résister à l’envie de citer la maxime qui colle le mieux à cet LP : le rock’n’roll comme “most invincible Superjoke in history“. Sur Best Of, les Bad Pelicans font tout ce qui est en leur pouvoir pour nous arracher la tête un sourire. Et une goute de transpi. Moi, je sue.
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