Je me souviens d’avoir introduit un vieil article Still in Rock en faisant l’analogie de son écoute avec l’entrée dans une église. Jamais je n’aurai pensé qu’un autre album mérite d’autant plus la comparaison. On pénètre généralement la musique de King Gizzard avec une certaine palpitation. Mais pour son nouvel album, Polygondwanaland, il nous oblige la timidité de premiers pas dans un lieu Sain. On le découvre avec un peu de retenue, parce que conscient du caractère sacré. Ensuite, on exulte, on se transcende.
Mais King Gizzard, en réalité, n’a ajouté le second élément qu’au fil des albums, jusqu’à tendre vers le chef d’oeuvre Muder of the Universe. Pour la première fois, il retire le premier élément de sa musique, laissant ainsi la seule texture comme maître des lieux. Cette démarche est fondamentale. Là se trouve la raison d’être de cet album, et, ce qui fait de King Gizzard le Souverain Juge. Combien de groupes sont à ce point capable d’une telle mutation.
Polygondwanaland sera donc j’en suis sur une nouvelle clé de voute de la musique de King Gizzard. Ce qui est troublant, pour autant, est qu’il est fort probable que l’on se souvienne surtout de cet album pour sa démarche commerciale. Voyez plutôt. Un matin de novembre, le groupe poste le message qui suit sur Facebook : “This album is FREE. Free as in, free. Free to download and if you wish, free to make copies. Make tapes, make CD’s, make records. The following files will be available to download at 9am Friday 17 Nov, Melbourne, Australia time at kinggizzardandthelizardwizard.com“. That’s right, King Gizzard a donné son album en proposant à qui veut de le presser en vinyle, K7 et j’en passe… C’est désormais chose faite, des dizaines de versions de cet LP vont sont pressées aux quatre coins du monde. J’ai opté pour celle de Stolen Body Records, parce que le label s’impose petit à petit comme une énorme référence européenne et qu’il faut donc le soutenir. King Gizzard semble aller trop vite pour l’industrie musicale, elle a donc baissé les bras, cette vieille consoeur que l’on aime détester.
Et voici la liste de tous les pressings disponibles : ICI (une sélection se trouve en fin d’article). Que signifient-ils ? Deux choses. La première, que King Gizzard est un mastodonte adulé à travers les patelins. Mais ça, on le savait. La seconde, qu’en procédant de la sorte, King Gizzard a trouvé un moyen de faire que le concept de rareté ne soit plus obsolète. C’est pourtant ce que l’on prête à Internet, notant que Lester Bangs rêvait d’avoir dans son sous-sol tous les vinyles du monde et que l’ère digitale le permet désormais. Mais ici, le concept de rareté – et c’est la première fois que cela me frappe de la sorte – trouve une nouvelle signification dans l’abondance. C’est un peu le mojo de King Gizzard qui est matérialisé. En faisant paraître tant d’albums d’une telle qualité, King Gizzard raréfie les recoins de sa musique, nous empêchant de les connaitre avec trop de précision. Il nous noie. Nous étouffe. On suffoque. On en redemande. Oh King Gizzard, groupe sadomasochiste.
Et c’est avec “Polygondwanaland” – qui semble de prime abord vouloir nous rappeler Paper Mâché Dream Balloon – que l’on est confronté au nouveau son de King Gizzard. Le fait est que la texture que le groupe nous propose avec Polygondwanaland est d’une nature différente. Elle est plus directe, non pas que King Gizzard ait laissé tomber ses quelques effets de manche, mais il semble avoir axé la production sur un contact plus immédiat, les passages ténébreux sont moins expressifs, mais ceux de modération sont plus réussis qu’à l’habitude. On a revient ainsi à l’abandon du patchwork.
“The Castle In The Air” fait l’alliance de Murder of the Universe et Flying Microtonal Banana. On écoute les variations orientales qui reviennent discrètement. Et si l’on est désormais habitué de la chose, il y a fort à parier que King Gizzard sera un jour le beau-père fondateur d’une nouvelle réconciliation de la musique psychédélique avec le magnifique Maghreb. Les Beatles avaient montré la voie. “Deserted Dunes Welcome Weary Feet” s’inscrit dans la continuité de l’album, et là encore, si l’on sait désormais que King Gizzard est grand clerc de l’album-concept, il faut se souvenir des claques que nous avaient envoyés ses premiers LPs ainsi bâtis, renouant avec la grande tradition de S.F. Sorrow & co.
Je tiens “Inner Cell” comme le deuxième chef d’oeuvre de cet album, après le titre introductif. Tout est là, le mélange entre le King Gizzard qui nous susurre des poèmes sur la mort, ses nouvelles représentations de la frontière avec l’hémisphère sud et un son analogico-gizzardien qui nous fait dire que oui, les reptiliens existent. Mais vient “Loyalty“, et c’est là que le bât blesse. Son introduction électronique le disqualifie, de fait. Ayons des principes, merde ! Ce titre me provoque un haut-le-coeur. Je me souviens de la trahison de Tame Impala qui a depuis basculé de l’autre côté de la force. King Gizzard, au nom du peuple, ne laisse jamais tomber ta guitare. Et continue ainsi d’emmerder ceux qui écoutent de la gadoue électronique, tu vaux mieux.
Passé ce désagrément, on file tout droit sur “Horology” qui est introduit de la sorte : il était une fois… une divinité ? Un Incréé ! Et l’intérêt de “Tetrachromacy” est double. La guitare acoustique est d’une force peu palpable tandis que King Gizzard évoque une couleur qu’il n’est “pas possible de voir avec ses yeux, ou avec internet”. Doit-on en tirer une quelconque conclusion quant à son rapport avec le numérique ? Il ne faudrait pas, parait-il (voir la Boston Review), s’émouvoir de la nouvelle génération qui ne jure que par les images – Instagram – au motif que ce serait une constante de nos sociétés. Mais si seulement King Gizzard pouvait bruler quelques rétines, on serait quand même tranquillisé.
Et le dernier combo, celui de “Searching…” et de “The Fourth Colour“, vient conclure Polygondwanaland sur ce qu’il y a de plus pertinent. Le premier nous fait monter à bord d’un vaisseau, il prend le temps nécessaire au déploiement de ses ailes. Le second est la dernière masterpierce de l’album, trop rapide pour que Mamie puisse comprendre que ses disques sont morts, King Gizzard vient de buter un pan de l’histoire psychédélique en 3 ans à peine.
Au final, et sans surprise, Polygondwanaland est un nouveau chef d’oeuvre. Il est bien entendu que qui découvrirait King Gizzard avec cet album se prendrait une claque monumentale. Nous, on se prend aussi une claque monumentale. King Gizzard va trop vite, trop loin. Il ne nous reste qu’une seule chose à faire : pleurer ceux qui ne savent pas, s’excuser auprès du vieux peuple psychédélique de n’avoir pu jouir avant, et jouir encore !
(mp3) King Gizzard & The Lizard Wizard – Crumbling Castle
(mp3) King Gizzard & The Lizard Wizard – Inner Cell
(mp3) King Gizzard & The Lizard Wizard – The Fourth Colour
Tracklist : Polygondwanaland (2017, LP)
1. Crumbling Castle
2. Polygondwanaland
3. The Castle In The Air
4. Deserted Dunes Welcome Weary Feet
5. Inner Cell
6. Loyalty
7. Horology
8. Tetrachromacy
9. Searching…
10. The Fourth Colour
Liens :
Article sur Murder of the Universe
Lien vers TOUS les articles Still in Rock sur King Gizzard
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